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Le dessin satirique La satire, qui correspond bien à l'esprit caustique et à la spontanéité de Tomi Ungerer, imprègne l'ensemble de son oeuvre graphique. On peut cependant y distinguer un genre bien spécifique du dessin satirique, dont on peut suivre l'évolution. S'il réussit à publier dans la revue Simplicissimus l'un de ses dessins au début des années 50, ses véritables débuts se passent à New York, où il adopte le genre du "cartoon", en travaillant pour des grands magazines comme Esquire, Holiday, Life, Look, Show, Fortune, et Harper's Bazaar. Très rapidement, Tomi Ungerer trouve dans l'observation du monde contemporain, les sujets d'élection qui resteront par la suite des constantes dans son oeuvre. Ainsi dans un recueil de "cartoons" intitulé Horrible il dénonce la mécanisation du monde moderne. Tomi Ungerer utilise dans ce livre la technique du collage, héritée des surréalistes : par la juxtaposition à des dessins à l'encre de Chine de vieilles reproductions photographiques, souvent tirées de catalogues, il réalise des images à l'effet surprenant. Il assemble par exemple la photographie d'un tableau de Prud'hon, L'Enlèvement de Psyché, au dessin d'un pilote à bord de son avion : ainsi est symbolisée, avec nostalgie, la confrontation entre les Temps modernes et le passé. Dans les années 60 sont édités à New York plusieurs recueils de ses "cartoons", qui réunissent dessins et illustrations parus dans les journaux : The Underground Sketchbook satire des relations amoureuses, de la politique, des affaires, Der Herzinfarkt satire de la course à la réussite des hommes d'affaires new-yorkais, Inside Marriage satire du mariage et qui est également son premier livre édité en Europe en 1960. Vers la fin des années 60, la critique sociale de Tomi Ungerer se durcit par rapport à la bonne société new-yorkaise dans son livre The Party. Les dessins sont encore conçus dans la lignée du "cartoon", mais réalisés en plus grand format : toujours réalisés à l'encre de Chine, ils perdent leur côté strictement linéaire par des aplats de couleur noire qui leur donne de la profondeur. Le ton est devenu mordant, à la limite du supportable. A la suite de son départ des Etats-Unis en 1971 pour le Canada, puis l'Irlande, l'oeuvre satirique prend une autre dimension, plus dramatique, marquée en particulier par la parution de Babylon et de Symptomatics. L'esprit de persiflage des premiers "cartoons" n'est plus de mise dans ces dessins, comme si ce moraliste, en se retirant du monde et en prenant du recul, jugeait avec plus de sévérité encore ses contemporains et se préoccupait de problèmes devenus essentiels pour lui. Dans Babylon, il dépeint avec un graphisme brutal accentué par l'emploi du crayon gras, la décadence du monde moderne et prophétise l'Apocalypse des temps futurs : dans la préface du livre, Friedrich Dürrenmatt a défini ces images comme des "hiéroglyphes de la terreur" ... Un dessin inédit intitulé "Espace vital" dénonce par exemple les dangers de la surpopulation de la planète en imaginant la vie quotidienne des humains dans les alvéoles d'une ruche. Quant aux dessins de Symptomatics, ils dressent le bilan des conséquences du monde moderne et de la société de consommation sur l'homme. Avec pessimisme, Tomi Ungerer démontre que dans la situation dramatique qu'il vit, l'homme n'a déjà plus le choix... Dans ses dessins satiriques des années 80, il continue sa lutte contre ce qu'il nomme ses "bêtes noires", l'intolérance sous toutes ses formes, le fascisme, la guerre... Alors qu'auparavant, elle s'appliquait à des événements ponctuels de la politique, elle prend à présent une dimension historique : le fascisme qu'il rejette est incarné par le nazisme , son anti-militarisme s'exprime dans le souvenir de la guerre entre la France et l'Allemagne. ![]() 1984 Après la parution en 1990, de son dernier livre à ce jour de dessins satiriques, Amnesty Animal, qui dénonce les sévices infligés aux animaux, c'est un retour aux sources qu'il a effectué en 1995 avec la parution d'une série de "cartoons" dans le magazine allemand Spiegel Spezial sur les problèmes de la société contemporaine. À la brutalité du graphisme satirique, s'oppose, comme un havre de paix dans l'oeuvre de Tomi Ungerer, le classicisme du dessin d'observation. |
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Le dessin d'observation C'est dans sa jeunesse qu'il a réalisé ses premiers dessins d'observation quand, il allait, entraîné par sa passion pour les sciences naturelles, dans les forêts alsaciennes faire des croquis d'après nature de toutes les espèces d'oiseaux. Si Tomi Ungerer a renoué plus tard avec une tradition classique du dessin, c'est peut-être par opposition à l'exagération caricaturale du "cartoon". Selon ses propres termes, il a ressenti le besoin de "trouver un nouveau sens de la mesure", exprimant d'ailleurs son admiration pour les dessins d'Ingres et de David. Des esquisses d'animaux familiers, réalisées en Irlande dans les années 70, montrent combien Tomi Ungerer possède la maîtrise du trait, et réussit avec un grand réalisme, à saisir la vivacité de l'animal au jeu. De la même époque date également une série de croquis de ses enfants observés dans leur contexte, comme celui de sa fille en train de lire : ce dessin, exécuté avec une grande sobriété de moyens, en quelques traits à l'encre de Chine rehaussée de lavis, restitue toute l'intimité d'une scène quotidienne. Mais le dessin d'observation, réinterprété dans une optique critique, peut prendre une dimension satirique : dans Slow Agony, il dépeint son environnement canadien, mais en dénonçant la déchéance de la société de consommation, dépasse le genre classique du paysage. Il utilise pour cela une technique différente, des crayons gras rehaussés de lavis d'encres et de gouache, et réalise de grands formats, proches de la peinture. Rappelant la mise en pages de ses affiches, la composition met en valeur les motifs principaux par de grandes réserves qui laissent apparaître le support du papier. Avec les dessins de Warleraum qui ressuscitent l'atmosphère d'un vieux sanatorium, il dépasse également le genre de la nature morte : qu'il choisisse des objets parfois insolites, comme des instruments médicaux ou des objets quotidiens, comme une chaise, il transfonne la réalité en un monde fantastique. |
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Le dessin érotique Comme le dessin d'observation, le dessin érotique occupe une place à part dans son oeuvre, tout en étant une constante... Il est paradoxalement difficile de définir un "genre érotique" dans l'oeuvre de Tomi Ungerer, car il est traité de façon très diverse et apparaît en filigrane dans tous les domaines de sa création. Il constitue donc également un thème à part entière, qui sera abordé ultérieurement. Les premiers dessins dits érotiques de Tomi Ungerer relèvent en fait du domaine de la satire sociale : dans Fomicon réalisé en 1969, il critique en effet la mécanisation du sexe. La technique utilisée est d'ailleurs la même que pour le dessin satirique : un trait linéaire, à l'encre de Chine, qui accentue le côté clinique et froid de cet univers dont les scènes lui ont été inspirées par des poupées Barbie désarticulées puis mises en situation... Totempole, qui réunit des dessins érotiques réalisés de 1968 à 1975, peut être en revanche considéré comme le premier livre qui s'intéresse à l'érotisme en tant que tel. Les dessins ont été exécutés avec un grand souci de précision anatomique, qu'accentue l'utilisation de crayons gras qui donnent du volume aux formes. Le mouvement du corps, dont la nudité est soulignée par quelques accessoires, évoque les attitudes des femmes d'Egon Schiele... ![]() Dessin inédit pour Totempole 1971 Dans les années 80, c'est un érotisme différent, influencé peut-être par une demande du lectorat allemand, qu'expriment Tomi Ungerer's Botanik, Tomi Ungerer's Erzâhlungen für Erwachsene, et plus récemment Das Liederliche Liederbuch. Dans les Grenouillades par exemple, les dessins sont exécutés à grand renfort de couleurs avec des formes pleines. A cette ambiance truculente et rabelaisienne, pleine de verve et de fantaisie, s'accorde cette phrase de Tomi Ungerer : ![]() |
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Il ressort de cette brève description des différents genres de création de Tomi Ungerer, qu'il existe dans son oeuvre une constante, qui est la satire sociale, traitée de différentes manières et à des niveaux différents, selon ces moyens d'expression que sont les livres pour enfants, la publicité, le dessin satirique, le dessin d'observation, et le dessin érotique. Pour mieux comprendre ce qu'on peut appeler les "rouages" de cette oeuvre, une approche thématique et iconographique est à présent nécessaire. |
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2. Interview de Tomi Ungerer par Roger Siffer et Suzanne Maier : "Tomi, on t'a pas demandé ton histoire" , 16.6.89, P. 8 |
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