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Image et société
L'image en politique

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-- -- L'image en politique est un sujet sur lequel je travaille depuis plus d'un quart de siècle puisque mon premier ouvrage qui s'appelait (titre prémonitoire!) L'image du présidentest de 1975 et que j'ai été commissaire de l'exposition sur l'imagerie politique en 1977 au Centre Georges Pompidou pour son ouverture. C'est en quelque sorte ma danseuse, qui comme toutes les danseuses coûte cher et ne rapporte que des ennuis mais vous en fait voir de toutes les couleurs.
Je me propose ici d'essayer de resituer l'image politique dans la problématique de la promotion par rapport à l'image publicitaire, de la situer dans l'histoire de la promotion en rapport à la propagande et à la communication politique, enfin de m'interroger sur l'évolution actuelle qui manifeste le passage d'une éthique de la communication politique à une technique de la transaction politique.
(Je proposerai en fin de parcours quelques arrêts sur images politiques. Vous devrez donc subir le cours avant de pouvoir bénéficier de la récréation.)
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Mise en situation de l'image politique
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-- -- DÉFINITIONS    L'alliance des deux mots image et politique souffre d'ambiguités majeures, celles attachées à chacun de ses termes. Dans l'ouvrage que Claude Collard, Isabelle Giannatansio et Michel Melot ont consacré à l'image dans les bibliothèques, il y a en préliminaire une analyse de l'image. Et après avoir convoqué des philosophes comme Derrida, des sociologues comme Passeron, des biologistes comme Changeux, des historiens de l'art comme Panofsky, des sémiologues comme Barthes, des communicologues comme Umberto Eco plus le médiologue Régis Debray, les auteurs concluent "Avouons-le, personne aujourd'hui n'est capable de fournir une définition de l'image qui fasse autorité." Pourtant tout le monde sait qu'il y a une grande différence entre le produit image qu'on peut voir en réel et la notion d'image de marque qui s'attache à la construction de ce produit dans l'imaginaire de l'opinion, c'est justement sur cette dichotomie qu'est fondée toute la promotion politique.
L'approche sémantique n'est pas plus facile pour l'adjectif politique quand il accompagne le substantif image. Politique est ici un adjectif qui a donc deux géniteurs : le géniteur mâle noble, le politique, lieu de l'action et des rapports de pouvoir, cercle dont le centre est partout et la circonférence nulle part ("tout relève du politique") et le géniteur femelle, domestique, la politique, une souillarde qui vit en cuisine, lieu de la pratique de la parole et de la représentation symbolique ("tout ça c'est de la politique"). Cette ambiguité est une des difficultés à baliser le domaine d'une science politique privée de son soleil – la notion d'Etat autour duquel hier tout rayonnait – et explosée aujourd'hui en milliers de constellations dont il est difficile de tenir la cartographie.
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-- -- CORRÉLATIONS    Comment situer dans cet univers l'image politique?
Une première approche consiste à la rattacher à l'univers de la promotion et à spécifier chacune des formes de la promotion par leur objet. On a longtemps soutenu que la propagande était la promotion de l'idée, que la publicité était la promotion de l'objet et que le star-system c'était la promotion de la personne. Aujourd'hui cette trinité a fait place à l'œcuménisme le plus complet. En politique on fait la promotion aussi bien d'une formation que de ses valeurs, de son chef et des signes de reconnaissance, ou d'allégeance, qui marquent sa distinction. Il n'y a pas un stand de l'image politique mais une véritable foire aux images.
Une seconde approche consiste à opposer une démarche publicitaire qui serait prescriptive parce qu'elle tolère la concurrence et qu'elle en vit, et une démarche de propagande qui serait proscriptive parce qu'elle exclut la concurrence et qu'elle en meurt. Mais cette opposition entre une propagande hard et une publicité soft ne paraît plus convenir à une époque où, la publicité comparative rend la publicité parfois hard et où, la politique joue davantage sur la séduction que sur la dénonciation et utilise toutes les ressources du langage soft. C'est toute l'ambiguité du marketing politique qui dans les années 60 annonçait qu'on vend un président comme une savonnette mais qui me parait mis en cause par l'analyse de l'échange politique qui est d'un ordre radicalement différent de l'échange commercial.
Le degré minimum de l'échange commercial est l'acquisition d'un produit ; on l'achète où l'on veut, quand on le veut, on peut l'acheter en même temps que ses concurrents ou ne pas l'acheter du tout, on paie l'échange, on emporte le produit dont on est propriétaire, on l'utilise et s'il ne vous convient pas on peut le rapporter à la caisse et se faire rembourser.
Aucun de ces paramètres ne s'applique au degré minimum de l'échange politique qui est le vote, qui ne se fait ni où l'on veut, ni quand on veut, et qui exclut le cumul. On ne paie pas, ou en tout cas pas directement. On n'a rien non plus en retour sinon des promesses et on ne peut rapporter le candidat là où on l'a pris pour en faire l'échange s'il ne vous convient pas.
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-- -- OUTILS DE TRAVAIL    Il faut donc à un langage spécifique comme celui de l'échange politique des outils d'analyse spécifique, indépendants de ceux utilisés pour l'analyse de l'échange publicitaire. Aussi les chercheurs ont progressivement mis au point :
une grammaire de l'échange politique autour des trois grands protagonistes de l'échange politique
un lexique du légendaire politique articulé autour des métaphores cardinales du langage politique
une syntaxe de l'image politique animée organisée autour des grandes trajectoires que sont la conquête du pouvoir avec la mise sur orbite des différents étages successifs de la fusée présidentielle, la gestion de l'image du pouvoir avec le passage de l'état de grâce à l'état de fait puis à l'état d'urgence, et la construction de la stratégie télécratique des formations ou de leurs chefs.
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suite suite