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Image et société
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-- -- Deux notions, dont l'extension est si vaste que leur compréhension est quasi nulle : on ne sait plus ce qu'ils recouvrent vraiment. Parler d'image c'est parler du reflet mais aussi de tel tableau classique (longtemps conçu, selon la théorie de la mimesis, comme le double du réel, où l'image n'est plus comme précédemment l'apparence, mais l'apparaître) de l'affiche mais aussi du film, de la métaphore mais aussi de l'image de synthèse (image qui ne représente plus, mais présente), du phantasme (image mentale) mais aussi de l'icône byzantine. Et je dirais volontiers, un peu par provocation, que parler d'image, c'est ne pas savoir de quoi on parle : d'où ma proposition de supprimer le mot. Quant à la société, à la fois par certains de ses membres, créatrice d'images, mais surtout réceptrice d'images, qu'entendre par là ? N’est-elle pas fragmentée en groupes dont les attentes intellectuelles, affectives sont différentes ? Faut-il répondre à ses attentes, en supposant qu'elles soient connues, faut-il les susciter, mais en fonction de quels critères ?

En simplifiant à l'extrême, je pointerai deux problématiques.
La première consiste à considérer l'image soit comme fin, soit comme moyen. L'image-moyen, c'est celle de la publicité, de la propagande ou encore l'image qui sert de support à une idéalité (par exemple, l'icône comme moyen de contact avec la transcendance). Dans toutes ces occurrences, il me semble que sa qualité essentielle est l'efficacité. Il s'agit de convaincre, de séduire, quelquefois de mentir, toujours d'avoir un effet : faire acheter, enrôler, rendre présent autre chose qu'elle même (dans le cas de l'icône). Dans cette perspective, les valeurs esthétiques (beau, sublime, élégance), si elles ne sont pas à négliger et peuvent contribuer à l'impact du message (les icônes de Roublev) ne sont cependant pas essentielles. Ne peut-on pas imaginer une publicité, dont la laideur est telle qu'elle a valeur de provocation, une provocation, paradoxalement attirante parce que répulsive ?
Parmi les images-moyens, je rangerai également les images scientifiques, l’imagerie médicale numérique. L'image ici donne accès à un réel que nos appareils récepteurs, nos sens, ne peuvent percevoir. La valeur visée est la vérité, la fidélité. L'image détecte et permet d'agir.
Tout autres sont les images constitutives d'œuvres plastiques, où les valeurs esthétiques sont centrales : tableau, gravure, photographie, etc. Celles-ci sont leur propre fin, elles ne sont pas là pour autre chose qu'elles-mêmes. Certes on peut, avec Malraux, saluer, dans le XXe siècle, le musée imaginaire, cette possibilité qui nous est donnée de voir dans des livres et aujourd’hui sur Internet la reproduction des œuvres de tous les temps et de tous les pays. Il n'en demeure pas moins que la quadrichromie fausse l'œuvre, que la diapositive me donne au même format Les Noces de Canade Véronèse et La Nef des fousde Bosch. Face aux œuvres, même si les restaurations n'arrangent pas toujours les choses, nous avons une plus juste appréciation des valeurs esthétiques, quelle que soit leur variabilité au cours des temps. À la différence des images-moyens, ces images ne sont pas signes, elles ne renvoient qu’à elles-mêmes. Francastel disait que le signe signifie (renvoi à un référent), alors que l'œuvre d’art se signifie (finalité sans fin, disait Kant).

Cela nous introduit au second problème celui des rapports de l'image et du langage. Je dirai un peu brutalement que l'image n’est pas le langage (cela est démontrable, mais je n’entrerai pas dans cette démonstration complexe, où intervient le problème de la double articulation), car si l'image — je ne parle ici que de l'image-moyen — peut être décryptée, si elle met en jeu toute une rhétorique, comme Barthes l'a montré à propos de la publicité des pâtes Panzani, si elle peut être trafiquée (Timisoara) ou agir subliminalement, dans la plupart des cas, nous sommes devant elle simplement réceptifs, incapables de décoder les manipulation dont elle est l'objet. Du fait de son évidence, fondée sur la seule perception et ne nécessitant pas, du moins jusqu'à aujourd’hui, l'apprentissage d'un code, comme c'est le cas du langage, elle peut servir des desseins multiples (elle a servi, dans les temps anciens, l’initiation à l'Histoire Sainte chez les analphabètes). Il y a là urgence aujourd’hui, vu la multiplicité des images qui nous entourent à instaurer une initiation à ce mode de communication, dont la simplicité peut être trompeuse. Car, à la différence du langage, qui offre des résistances à l'interprétation, l'image se donne comme spontanément lisible, et quand elle ne l'est pas, il est plus facile de se détourner d’elle que d’un texte que toute notre culture a sacralisé, nous rendant plus ou moins coupable de notre incompréhension.
Telle est à la fois la force de l'image, son accès apparemment direct, et sa faiblesse, sa non-résistance. On pourrait lui appliquer le reproche que Platon faisait à l'écrit, à la différence de l'oralité : séparé de celui qui l'émet et qui pourrait accréditer le sens par lui voulu, l'écrit s’en va rouler à travers toutes les mains. Le paradoxe de l'image — il ne s'agit pas ici des images allégoriques, complexes, à déchiffrer comme l'exige un texte, nécessitant le langage pour les éclairer (ex : les gravures de Dürer) — est de paraître simple, alors que privée des ressources du concept, elle est terriblement ambiguë.
Avec les graphistes, nous sommes en face de personnes qui se servent soit de l'image seule (et le cartel indique de quoi il s'agit), soit de l'image et du graphisme intégré à l'image. Le problème que je poserai est de savoir le sens, le rôle du graphisme : sert-il seulement à dénoter, à indiquer de quoi il s'agit, à quoi l'image renvoie, a-t-il un rôle esthétique, et si oui, comme probable, est-il à lire ou simplement à voir ? En d’autres termes, perd-on beaucoup de l'intention de l'auteur lorsqu’on ne sait, comme c'est le cas de beaucoup d’affiches exposées, déchiffrer ce qui est écrit et, si oui, en quel sens y a-t-il un internationalisme de l'art graphique ?
 
Régine Pietra
 
 
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