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Brooklyn academy of music
Affiche de Robert Rauschenberg
Photos James Klosty
1968 |
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11eme Biennale de danse
du Val de Marne
Affiche de Servan Dermidjan
2001 |
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La danse est un orchestre, une polyphonie sémiotique, cest
à dire que dans la danse, on met en uvre à la
fois - Gallotta a je crois recherché cette polyphonie avec
le TDM (le Théâtre, Danse, Musique) - la couche indicielle
des signes, cest à dire le corps ; des icônes qui
sont des images, détachées, artificielles, créées
par dessus le monde existant ; et enfin on met en uvre du symbolique,
cest à dire des codes abstraits, dont le langage et lécriture
sont lexemple par excellence. Alors on peut avoir des danses
plutôt du côté indiciel, plutôt du côté
iconique, plutôt du côté symbolique. Il est certain
que Merce Cunningham par exemple rêve du côté de
licône et du symbolique. Cest à dire quil
produit quelque chose de détaché, fluide, dassez
alphabétique, et dassez syntaxique. Cunningham a cette
phrase, que jai relevée je ne sais plus où : "Quest-ce
que la danse ? Un acte de vie spontanée et agréable".
Cest à dire quil vise par sa chorégraphie
une syntaxe fluide de signes en mouvements, mais ces signes sont du
côté, peut-être déjà des lettres.
En effet les danseurs de Cunningham sont parfois comme des hiéroglyphes
ou des alphabets dansants. On est à lopposé je
crois, ou du moins assez loin dune danse qui serait beaucoup
plus cruelle, beaucoup plus indicielle, qui nous montrerait la pesanteur,
le corps souffrant, les attaches du corps, et toute la cruauté
par exemple de la danse "Buto" au japon, ou bien de Pina
Bausch, où le corps attache, où la danse attache aux
corps de ses danseurs, où on joue parfois la propre histoire
corporelle du danseur. Chez Pina Bausch, je me souviens des provocations
assez extrêmes, où la laideur, laccident corporel,
les poils aux jambes étaient montrés par la chorégraphie.
Autrement dit la danse contemporaine a pris nettement position contre
le corps idéal, le corps sublimé par la culture, le
corps "signe", le corps "esprit" ou encore le
"lac des cygnes". Alors "cygne" on peut lentendre
comme loiseau ou comme le signifiant bien sûr. On recycle
au contraire dans cette danse contemporaine tout ce qui bouge, y compris
la perversité polymorphe, et les enfers du corps, le corps
bas, et les relations basses ou les relations primaires, le langage
primaire du corps total, primaire au sens freudien, cest à
dire ce qui ne sarticule pas dans le langage, ce qui ne monte
pas à lordre symbolique secondaire. Ce que nexprime
ni la voix, ni les articulations de la culture. Et donc il y a dans
ces corps en mouvement et dans ces affiches un corps souvent en morceaux,
et le danseur court derrière les morceaux, ou il court après
les signes qui pourraient remembrer le corps en mouvement. Mais la
sémiose au fond, cest à dire le ballet général
des signes qui nous entoure, est partout. Il y a une sémiose
de la bande son, des affiches, des images projetées sur écran
derrière les danseurs, dans quelques chorégraphies contemporaines,
il y a bien-sûr une sémiose des couleurs, des gestes,
etc. Toute cette sémiose, ces bandes rivales, de la bande son,
de la bande image, de la bande geste, de la bande texte parfois, sont
en concours et en conflit parfois avec le corps dansant, et chaque
corps, à la fois, entre et décroche par rapport à
ces différentes bandes. On danse avec ces bandes ou on danse
contre elles, et on a eu de nombreuses propositions récentes
je crois, qui donnent beaucoup à penser, pas seulement aux
sémiologues, devant ces orchestres cacophoniques ou polyphoniques
de sémiotiques affrontées. |
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Il y a beaucoup de partenaires autour de la danse contemporaine,
beaucoup darts affrontés autour de la danse, et la danse
devient un spectacle, non pas dominant, mais absolument éclatant
sur nos scènes. Si je songe que par exemple le théâtre
dominait à Grenoble avec Lavaudant, quand Gallotta a pris la
scène de la maison de la culture et la baptisée
"Cargo", il y a eu une émergence très forte
je crois, dont ont été contemporains ceux qui ici ne
sont plus tout à fait des étudiants. Nous avons assisté
à cette violente proposition de la danse contemporaine qui
donne à penser par rapport au théâtre lui-même
contemporain. Encore un mot concernant le terme même de "chorégraphie",
au fond, on sait très bien ce que veut dire "graphie",
"écriture", on sait moins ce que veut dire "choré"
du grec "khoreia". "Khoreia", cest en gros
lenceinte ou le cadre expressif quun corps se donne pour
fonctionner. La "khoreia", cest lenveloppe fluide
dun corps en mouvement. Cest le milieu, ou le biotope
à la fois physique et mental dans lequel un corps se sent bien
pour évoluer. Cette bulle constitue le partenaire caché
du danseur. Cette bulle ou cet espace disponible qui est lespace
du danseur, et qui peut varier dun danseur à lautre,
varier dune chorégraphie à une autre. Il y a des
"khoreia" strictement recroquevillées, ou au contraire
presque cosmiques. La danse fait, règle, apporte son cadre,
son espace, de même que la peinture contemporaine règle
ses comptes, ou ses distances avec son cadre. Dans le ballet classique,
le cadre est posé davance, dans la peinture classique
le cadre est posé, dans la danse contemporaine ou la peinture
contemporaine, souvent, "on apprend" le cadre et on le fabrique.
Là-dessus, laffiche apporte un nouveau cadre et une nouvelle
construction de la khoreia originaire.
Encore un mot pour dire que contre le danseur étoile, qui est
toujours un peu le danseur "état", car "étoile"
étymologiquement veut dire "lêtre stable",
et les étoiles nous donnent limage même de la stabilité
de lêtre, et bien, contre le danseur étoile, le
danseur état et contre la stabilité dun pivot
central organisateur du monde, sest dressée la danse
contemporaine. Mais cela ne va pas sans affrontement dans la culture,
voire sans affrontement dans lÉtat, parce que depuis
toujours, depuis le roi David dansant devant larche, la danse
a été une affaire dÉtat. On peut jouer
sur les mots en disant une affaire déquilibre, une affaire
de stabilité du corps, mais aussi une affaire qui touche à
léquilibre de la cité, à léquilibre
politique. La danse peut refléter un état singulier
ou un État politique préexistant. Elle peut aussi tâtonner
en direction de nouveaux équilibres, de nouveaux affrontements.L'utopie
de la danse est de revendiquer un autre état, et c'est une
contre utopie car nous sommes ici bas avec le corps indiciel du danseur.
Ce ne sont pas des mots, ce sont des pesanteurs, des gestes, des choses
à la base, et là on nest pas dans lutopie,
on est dans lici même du corps en mouvement, du corps
avec sa gêne, avec son poids, avec sa souffrance éventuellement,
en tous les cas avec les limites propres à tout corps. Autour
de ce corps se jouent des forces dattraction et de gravitation.
Un corps nest jamais ponctuellement situé, un corps est
en mouvement. Lêtre nest jamais stable, lêtre
est relationnel, et cest pourquoi la danse est tellement intéressante
pour un philosophe de la communication : car la danse est un attracteur
pour des gravitations. Non seulement un danseur en général
attire dautres danseurs, et ce sont des corps qui se donnent
à eux-même le spectacle de leur relation, mais la danse
comme art attire dautres arts comme le graphisme, la musique,
le théâtre, et tout cela est gravitationnel, tout cela
est relationnel.
Un tournant pragmatique a été pris par la danse contemporaine,
et jai beaucoup aimé dans le théâtre-danse,
enfin dans la danse disons de Gallotta, pas le TDM encore, mais la
danse de Gallotta, jai beaucoup aimé quil nous
montre les premières relations, dans un spectacle très
fort pour moi comme "Mammame" ou comme "Les enfants
qui toussent", qui montrait vraiment le spectacle des premières
tâtonnantes relations. Quest-ce que cest que les
premières relations ? Cest par exemple le portage, ou
lembrassement, le fait de prendre de façon presque protectrice
et fusionnelle le corps de lautre dans ses bras ou dans son
propre corps. Ce corps éminemment relationnel, ce corps frileux,
frissonnant, phobique parfois parce que les contacts sont parfois
révulsants, et donc il y a de lattirance autant que de
la répulsion dans ces premières relations, tout cela
a donné un matériau assez fort à Gallotta chorégraphe.
Et, je pensais au poème de Henri Michaut sur la lutte gréco-romaine,
quand il dit des choses comme : |
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