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CARTOGRAPHIE DE LA COMMUNICATION POLITIQUE    Aujourd'hui la communication politique est trop récente pour qu'on puisse en écrire l'histoire mais on peut en dégager plusieurs constantes.

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La première est la professionnalisation de la communication politique. La communication publicitaire a ses organismes de décision (le CNP), ses structures de régulation (le BVP), ses organismes de défense (l'AACC) ses organismes de recherche (l'IREP) ses produits spécialisés écrits (CB News), ou audiovisuels (Culture Pub) ses filières universitaires et même ses imprécateurs. Au contraire la communication politique vit en pleine anarchie et longtemps ce sont des individualités qui ont travaillé pour la communication politique : Séguéla, Crespi, Audour, Saussez. Un seul chiffre : il y a 200 professionnels de la communication politique en France. Aux États-Unis, on recense 3000 cabinets et 7000 consultants individuels.
En France les professionnels de la communication se méfient de la politique parce qu'ils n'ont pas les coudées franches ; les professionnels de la politique se méfient des communicateurs qu'ils réduisent au rôle de techniciens. Chirac a ainsi trois fois changé de conseils dans sa campagne présidentielle de 81. Pourtant les temps changent. Les filières de formation initiale et continue se développent, les guides et les bréviaires se multiplient et il y a surtout une transformation du métier politique.
La personnalisation de la vie politique, la professionnalisation des formations ont donné naissance à une nouvelle race de dirigeants. Ce n'est plus le meneur d'hommes qu'on admire mais le patron d'une équipe qui comporte des militants, des conseillers et des techniciens, qui a un objectif (le pouvoir) et des concurrents. La tâche de cette équipe est de mobiliser ses ressources financières et humaines et ses réseaux et de construire via les medias une représentation positive de son leader, de son programme et de son style. L'objectif est de faire gagner à son leader des points sur ses rivaux pour franchir un seuil où il va passer de la représentativité à la crédibilité.
Le second phénomène est la régression du militantisme politique. J'ai rencontré tous les responsables de communication des partis politiques du PC au FN et tous admettent avec plus ou moins de réserves une crise du militantisme. Alors pour compenser ces pertes, on salarie des permanents, on déniche des emplois fictifs ou on défraie des bénévoles. Cette régression est à la fois liée à la montée du marketing politique (quand on peut payer un affichage de 4 m par 3, pourquoi coller des 40 x 60 !), à la retombée des grandes utopies politiques (le grand soir n'est plus pour demain matin) et aussi tout simplement au repositionnement des budgets en fonction du rapport coût-efficacité. Il ne faut d'ailleurs pas croire que cela touche uniquement les formations institutionnelles. Les associations ont aussi leurs permanents salariés sur les fonds d'Etat même si elles sont capables de mobiliser autour d'elles pour des grandes causes.
Le troisième phénomène c'est l'effacement progressif des supports images fixes au profit de la télévision considérée comme le support de référence. L'élection présidentielle de 74 pouvait être associée au visage de la fille de Giscard, celle de 81 au petit village de la force tranquille. Il est déjà plus difficile de trouver une symbolique image à la campagne de 88 et en 95 les pommes de Chirac ont été moins connues par les affiches que par la résonance que les Guignols lui ont donnée.
Il y a de fait l'impact de la loi de 90 qui réglemente l'espace et la teneur des messages, il y a surtout la diversification des formules de publicité politique offertes par la télévision à la recherche d'une audience. En 1965, on ne disposait que d'une procédure à une voix (le monologue) ou à deux voix (l'interview). C'était De Gaulle par de Gaulle ou De Gaulle par Michel Droit. Depuis sont apparus de nouveaux dispositifs : le face-à-face avec ou sans arbitres, le face à la presse, le face au public avec un panel de spectateurs rassemblés, le face à la nation avec un panel de spectateurs disséminés, le face à l'actualité avec une série de documents, la table ronde avec un médiateur-animateur-gestionnaire de conflits, le forum avec participation du public et le show comme Mitterrand-Mourouzi en 85 ou Chirac-TF1 en 96. Plus toute une série de dispositifs combinés pour faire en permanence du neuf avec du vieux.
De plus la télévision a renouvelé son offre de produits. Avant il y avait le reportage de complaisance ; aujourd'hui il y a les clips politiques qui ont fait leur entrée fracassante en 88, comme le clip Mitterrand, et qui ont été repris dans les européennes par Bayrou qui s'est ainsi montré le vrai fils spirituel de François Mitterrand. Le père avait raconté en 500 images sur 80 secondes, l'histoire de deux cents ans de société depuis la Révolution Française jusqu'au François Mitterrand de la France Unie. Le fils raconte en un peu moins d'images mais presque autant de temps l'histoire de l'Europe depuis les temples grecs jusqu'à François Bayrou. Il y a également les spots qui sont interdits en tant que tels mais utilisés par les formations politiques dans leurs émissions électorales, les émissions d'éducation sémiologique de type Arrêts sur imagesou les émissions d'éducation politique quand on veut démonter un processus type Le Pen dans le Texteou Bienvenue à Vitrolles; enfin les fims de propagande comme le 47,3de Moati pour le PS diffusé par Arte qui montre comment une défaite réelle peut se transformer en victoire annoncée.
Cette théâtralisation de la vie politique par la télévision modifie le rapport entre le pays et le pouvoir. Plus généralement les medias technologiques jouent le rôle qui était dévolu aux assemblées d'élus. Les décisions sont annoncées au 20 heures, les députés découvrent dans la presse les dossiers à traiter, les justiciables apprennent par les magazines le contenu des écoutes téléphoniques sur leurs affaires.
Ceux qui veulent se faire entendre créent l'événement et mettent en place une stratégie médiatique pour le couvrir. Les chômeurs, les sans-papiers ont aujourd'hui leur agence de communication et même les casseurs sélectionnent leurs journalistes accrédités. Plus généralement la communication politique est dominée par une stratégie télécratique avec trois moments cardinaux, la conquête du pouvoir, la gestion du pouvoir, le changement ou le renouvellement du bail.
Le quatrième c'est l'irrésistible montée des sondages. La France est championne du monde des sondages : 1 par jour en période torride, 2 par semaine en période chaude, 3 par mois en période froide. Je ne parle que des sondages publiés. La législation de 77 qui visait à interdire la publication des sondages pendant les derniers jours de campagne est obsolète depuis qu'ils se trouvent sur Internet, et les journaux n'hésitent plus à braver des lois inapplicables dans le cadre des nouvelles technologies de la communication.
La sondomanie correspond au goût du public pour la compétition et la mathématisation des énoncés (Loto, Tiercé) et elle s'accomode bien au système électoral français qui est moins un système de représentation qui traduit la répartition des électorats entre pouvoir et opposition, qu'un système de désignation qui vise à constituer une majorité. Par ailleurs les medias qui les commanditent et les firmes qui les produisent se font la courte échelle. Ce sont les mêmes qui sont à la fois les salariés des organismes de sondages dont ils sont la caution scientifique et les exégètes des résultats dans les diverses chaînes.
On a beaucoup disserté sur les sondages, leur indépendance, leur fiabilité. Ainsi les deux sondages publiés au même moment par Libérationet le Figaro-Magazinesur l'attitude de l'opinion française face aux sans-papiers donnaient des résultats radicalement différents parce que les organismes de sondage avaient posé la question en fonction de la satisfaction attendue de leurs commanditaires. Ce qui est le plus important, c'est la modélisation et la surchauffe de l'opinion publique qu'ils induisent. Modélisation parce que la question détermine le mode de réponse et que celles-ci répercutées par les medias cristallisent les opinions. Surchauffe parce qu'un sondage fait à froid est inopérant par rapport à une décision qui sera prise à chaud. On suppute déjà les chances respectives de Chirac et de Jospin aux présidentielles de 2002 alors que tous les deux n'ont pas annoncé leurs candidatures, qu'ils sont tous les deux impliqués en partie dans des affaires dont on ne sait pas si elles vont exploser ou se consumer, et que d'autres prétendants peuvent s'affirmer dans les 18 mois qui restent.
Mais à force d'agiter le thermomètre des sondages on donne la fièvre à l'opinion et on fébrilise la vie politique, comme si chaque équipe disposait d'un patron inusable qui aurait réponse à tout et entretiendrait sa forme à coup de performances sportives et culturelles.
Du marketing de l'offre au marketing de la demande
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La conséquence de cette surchauffe de l'opinion c'est le passage du marketing de l'offre (voilà qui je suis) au marketing de la demande (c'est moi qui peux le mieux répondre à vos attentes). Autrement dit, le candidat ne va pas être élu sur un programme qu'il va appliquer par la suite. Il se construit une image de marque qui lui garantit son élection et c'est ensuite qu'il va tenter d'appliquer son programme.
Nous sommes dans un système d'actionnariat politique que je développe par ailleurs et qui se mesure par des votes et des intentions. Cette élection va se faire sur des promesses qui constituent le capital du candidat. Mais ce capital, il va devoir l'engager. Pour cela, il peut choisir de satisfaire des actionnaires en prenant une partie des mesures correspondant au souhait de ceux qui l'ont élu (c'est une politique de dividendes) ou conquérir de nouveaux marchés en séduisant ceux qui ont apporté leurs voix à des concurrents (c'est une politique d'investissements).
On comprend pourquoi il est difficile de prendre des mesures impopulaires qui se traduisent par une érosion de la cote immédiatement amplifiée par les medias et qui alarme les conseils en communication attentifs à toutes les variations de la cote. Ainsi la communication politique se cale de plus en plus sur un modèle d'actionnariat politique fondé sur la gestion du portefeuille de l'opinion publique et sur une éthique de la transaction.
C'est ce qui explique aujourd'hui la mutation que vit une image politique marquée par ses échecs (la dissolution manquée de Chirac) , confrontée à l'apparition de nouveaux medias (videos associatives, CD-Rom produits par les grandes firmes et les partis politiques, diffusion par satellites qui permet de relayer les meetings sur des dizaines de villes et qui offre maintenant des voies de retour, numéros verts, Minitel..) et surtout mise en crise par la redistribution du pouvoir qui s'opère sur Internet à travers les sites, les forums et les réseaux. Mais c'est ici une autre histoire à construire, celle du troisième millénaire et elle ne relève plus de la conférence mais du débat.
 

Jean-Paul Gourévitch
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suite  
L'image en politique
Hachette littératures, 1998