Autour des expositions
L'Histoire vue par l'affiche
ou la représentation de l'ennemi

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-- -- Traiter d'un sujet aussi vaste que "l'histoire vue par l'affiche" dans le monde, depuis sa création, en une heure, semble être un pari bien ambitieux. Il m'a paru donc nécessaire d'y apporter des limites et d'abord de préciser dans quel espace temps se situera cet exposé. Une introduction assez brève nous permettra d'évoquer l'histoire de l'affiche depuis ses origines, ainsi que son évolution au cours des siècles suivants, mais l'essentiel de cet exposé portera sur le XXème siècle.
Mais pourquoi se limiter à notre siècle ? En fait, il m'a paru intéressant de réfléchir sur la représentation et la symbolisation de l'ennemi dans les affiches. Il est apparu avec les premières affiches politiques illustrées et représente un élément constant de toute cette période. Cet ennemi est bien sûr très divers et évolue tout au long du XXème siècle.
Toutefois, il ne nous sera pas possible d'évoquer sa représentation dans tous les pays, par manque de temps bien sûr, mais surtout faute de documents. Les affiches à notre disposition, que ce soit dans les fonds des musées ou des centres d'archives, ou les reproductions dans des ouvrages, sont souvent américaines, russes ou européennes. Soit parce que les autres pays ont créé des affiches tardivement, en Afrique par exemple ou parce que, plus éloignées de nous, elles ont été moins reproduites et moins analysées, en Extrême-Orient notamment.
 
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Le mot "affiche" désignait autrefois une agrafe, c'est à partir du XVème siècle qu'il prend le sens de morceau de papier apposé sur une paroi. Une des plus anciennes affiches connues est une affiche religieuse faite à Saint-Flour en 1454.
Néanmoins, la volonté d'afficher ses opinions est une démarche très ancienne. Les peintures rupestres ou le code d'Hammurabi peuvent être considérées comme les premières volontés d'affichage. En Grèce, des panneaux de bois pivotants, les Axones, permettaient d'afficher les premières publicités. Tandis que dans l'empire romain, les murs blanchis à la chaux appelés album permettaient de mêler discours politique et inscriptions privées. Pompéi, une fois encore, nous apporte l'illustration de ces premières manifestations d'affichage.
Au Moyen-Age, ces inscriptions sur les murs disparaissent avec l'apparition des crieurs publics, chargés d'annoncer oralement les décisions du roi avant de les placarder.
 
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Ce sont des affiches textes, bulles de pape, édits royaux ou placards anti-catholiques, dont l'importance est mis en valeur par le corps d'imprimerie.
Cependant, le procédé est coûteux et les affiches restent rares jusqu'à la fin du XVIII ème siècle. C'est au cours du XIXème siècle que l'usage de l'affiche se répand dans le monde, grâce à l'introduction de plusieurs progrès techniques : l'invention de la lithographie en 1796 par Aloys Senefelh (pierre calcaire gravée), l'apparition de la couleur avec la chromolithographie vers 1837 avec Godefroi Eggelman et l'invention de la presse lithographique par Brisset qui permet de tirer les affiches à plusieurs milliers d'exemplaires.
La couleur apparaît enfin sur les murs avec Jean-Alexis Rouchon et sa technique du papier-peint Mais le maître incontesté de l'affiche illustrée est le célèbre Jules Chéret, qui perfectionne les dernières découvertes et met au point les premières affiches lithographiées en couleur. Jules Cheret invente un nouveau style avec ses célèbres "chérettes" qui vont influencer de très nombreux artistes, en France et à l'étranger.
Débute alors ce qu'on a appelé l'age d'or de l'affiche avec l'apparition de créateurs très talentueux et d'horizons très divers.
 
Un regard rapide de la production des affiches de la fin du XIXème siècle jusqu'en 1914 nous donne l'image d'un monde prospère et heureux. Dans le domaine publicitaire, les femmes sont très majoritairement représentées. Elles sont belles et désirables, apportant au produit vanté une image de séduction. De nombreux organes de presse ont eu recours à ce type d'image, laissant de côté toute argumentation politique, on le voit très bien avec ces affiches publicitaires pour Le Figaro et Le Figaro illustré.
 
Dans le domaine politique, n'oublions pas qu'à cette époque, les affiches sont essentiellement des affiches textes. Les premières affiches politiques illustrées naissent avec les tentatives de la part des mouvements de gauche de créer un art populaire, conçu comme une éducation du prolétariat où l'illetrisme domine encore.
Cette volonté de propagande par l'image sera peu à peu reprise par les autres courants politiques. La femme n'est pas exclue de cette propagande politique, elle est l'emblème de la République dans une affiche de Pal, elle représente Britannia se défendant contre l'agresseur socialiste pour les conservateurs britanniques.
Malgré la naissance du mouvement d'émancipation de la femme aux Etats-Unis en 1848, et qui gagne l'Europe vers 1860,
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Même l'appel au vote des sufragette britanniques en 1905 passe par l'image d'une femme, plus libérée c'est vrai, mais non sans charme.
Quant aux hommes, son portrait n'apparaît pas quand il est candidat. Dans les milieux conservateurs, ils sont rarement représentés, exceptés les soldats. Dans les milieux de gauche, l'homme représenté est le travailleur, ses outils à la main, dont le torse nu témoigne de sa force. Ces images ne sont pas dénuées de séduction.
 
Il est essentiel pour les affichistes de donner à ses destinataires un message clair, c'est pourquoi les artistes de gauche vont créer des symboles immédiatement compréhensibles par une majorité de la population. Apparaissent alors sur les affiches des images clé comme le soleil, lumière de l'espoir, les chaînes qui se brisent, la fraternité des peuples ou les mains qui se lèvent en signe de ralliement.
 
Dans ce monde d'images somme toute assez irréel, quelques affiches se démarquent par leur réalisme, Steinlen en particulier, avec de nombreux dessins et affiches, dévoilant la misère et la pauvreté.
Quelques affiches, peu nombreuses néanmoins, témoignent donc des difficiles conditions de vie du début du XXème siècle.
 
D'autres affiches, celle pointant du doigt l'ennemi, témoignent du climat politique de l'époque. Mais cet ennemi, qui est-il ?
Pour le milieu conservateur, l'ennemi est l'anarchiste, et dans cette affiche belge de Privat-Livemont, l'assassin est de par sa tenue, associé à l'ouvrier. Il est intéressant de remarquer le contraste de cette image avec la violence de l'assassin opposée à l'image de séduction de la victime.
 
Pour les milieux de gauche, l'ennemi, c'est le capital et le capitalistes. Ils sont représentés, comme dans la caricature, vêtus richement, gras, et portant des hauts de forme. L'ennemi est également symbolisé par la présence du coffre-fort, dans cette affiche, on voit bien que de l'union des ouvriers, naît une force inébranlable qui déstabilise le capital.
 
A bas les calottes
"A bas les calottes"
Affiche de Gustave Jossot pour le journal L'Action,
1903
 
Enfin, les trois piliers de la société, c'est à dire la justice, l'armée et la religion, sont les cibles des caricaturistes. Jossot leur fait "bouffer" le journal "L'action" en 1903.
L'anti-catholicisme donne naissance à des affiches très violentes, telles La Lanterne d'Ogé, publicité pour un journal qui se dit anti-clérical.
 
L'ennemi apparaît également sous les traits du juif. Alors que l'Affaire Dreyfus a suscité quantité d'articles et de caricatures dans les journaux, peu d'affiches l'ont évoqué. Quelques exceptions néanmoins avec Lenepveu et sa série de portraits charge des principaux protagonistes de l'Affaire. Quelques rares allusions également dans le domaine de la publicité avec l'affiche "Ces bons juifs" de Raphaël Viau en 1898, et l'affiche "Réconciliation" pour le château Cognac montrant Dreyfus, Marianne, le rabin et le prêtre buvant à la réconciliation.
Alors que l'Affaire Dreyfus représente un véritable bouleversement au XXème siècle, elle est quasi-absente dans les affiches, l'Affaire ne fait pas recette pour vanter tel ou tel produit.
Néanmoins, le climat antisémite de l'époque apparaît très nettement dans les affiches. Willette s'est présenté aux législatives de 1889 comme candidat antisémite tandis qu'Edouard Drumont connaît un succès incroyable avec ses pamphlets "La France juive" et "La Libre parole".
 
La création avant 1914 se caractérise donc par une production importante d'images publicitaires attrayantes et dans le domaine politique une majorité incontestable de placards textes.
Néanmoins, avec la naissance des premières affiches politiques illustrées et l'apparition des symboles propres aux images de propagande, un nouveau type d'illustration est né : l'affiche montrant du doigt l'ennemi.
C'est cette représentation de l'ennemi qui nous dévoile l'histoire de ce début du siècle.
 
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