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Interview de Raymond Savignac - suite ![]() |
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Michel Bouvet / Je ne pense pas par exemple, que vous auriez imaginé, avant que cela ne vous arrive, faire des affiches pour la gendarmerie. |
Raymond Savignac / Ah oui ça fait partie du charme de l'existence. Je vais vous raconter une anecdote, c'est pas vieux, c'était ici. Il y a une comédienne qui s'appelle Bérangère Bonvoisin qui joue dans les théâtres périphériques et qui fait de la mise en scène aussi. Elle s'était éprise du théâtre de Trouville, théâtre que tout le monde ignore parce qu'il y a plus d'un demi-siècle qu'il ne fonctionne plus. Il est au-dessus du Cinéma dans le Casino. C'est un théâtre à l'italienne, très joli, merveilleux, malheureusement il est dans un état de vétusté immense. Elle s'était mise dans la tête de trouver l'argent pour pouvoir s'occuper du théâtre et même fonder une troupe. Elle me disait qu'il y avait beaucoup de jeunes comédiens qui en avaient marre de tourner dans la banlieue. Alors elle avait monté deux petites pièces de Courteline : "le commissaire est bon enfant " et " le gendarme est sans pitié". J'ai fait une affiche pour elle et la pièce qu'elle a montée a eu beaucoup de succès et une très bonne presse parisienne. C'est le malheur qu'elle a eu, parce qu'ici ils n'ont pas aimé du tout le fait qu'elle soit "persona gratta" à Paris. Par la suite, j'ai reçu un coup de téléphone du Commandant de gendarmerie Fanet, qui me dit : "j'ai beaucoup aimé votre affiche de Courteline et je voudrais savoir si vous nous vendriez l'original". Je n'avais pas tellement envie de voir Courteline rentrer par mon intermédiaire dans le Musée de la gendarmerie. C'est quand même une chose drôle ! Il était de cet avis et il est venu me voir. J'ai vu arriver un jeune homme, un jeune universitaire intelligent, spirituel, marrant, encore avec des idées préconçues c'est à dire fausses et il m'a dit : "ça va pas marcher pour le Musée de la gendarmerie, mais je veux vous demander quelque chose : si je vous posais le problème de la gendarmerie qui protège et puis la gendarmerie qui sévit ?". Alors je me suis penché là-dessus et puis j'ai trouvé, j'ai fait un petit elliptique l'un protège, l'autre sévit. La gendarmerie a fait sa pub, et là, viennent de sortir les "portes ouvertes à la gendarmerie". | |||
MB / Vous savez ce que les gendarmes en ont pensé ? |
Alain Weil / Ils sont ravis. Et qui plus est, tiré à plus de 100 000 exemplaires. J'ai eu le chef d'escadron Fanet au téléphone il est ravi. Il est ravi parce que justement pour une fois ils ont des affiches que les gens regardent et leur font, comme toujours chez Savignac, un clin d'oeil et donc le message passe. C'est à dire qu'effectivement cette image des chaussettes à clous ils ont réussi à la mettre de côté. RS / Ils ont réussi à mettre les rieurs de leur côté. | |||
MB / C'est une belle réussite et puis 100 000 exemplaires ça veut dire que ça représente une diffusion considérable. |
RS / Ce sont des affiches d'intérieurs, pas des grandes surfaces. Vous savez Loupot disait que la bonne affiche est celle qui est tirée à 100 000. Je l'ai cru longtemps mais c'est pas vrai. La preuve en est, d'ailleurs, Aspro, a eu un tirage qui n'a jamais été réédité. Je salue au passage le courage qu'ils ont eu, parce que j'avais une frise avec beaucoup de papier de fond qui ne servait à rien du tout ; quand on sait le prix que payent les annonceurs du cm de papier ! Cela faisait partie d'une chose nouvelle. | |||
MB / C'était le début des embouteillages. L'autoroute de l'ouest coinçait le dimanche soir... Les ventes ont dû augmenter. |
RS / Je n'ai jamais su. Ça correspondait à un malaise général, au fond, à ce que j'avais fait pour Delpire "Défense d'afficher" où j'avais fait vingt-quatre sarcasmes graphiques qui n'étaient pas des pamphlets. Dans mon esprit, c'était plutôt une plaidoirie pour qu'on vive plus intelligemment. User du progrès est une bonne chose, mais à dose homéopathique. | |||
MB / Et Delpire, vous travailliez beaucoup avec lui, c'est une agence de publicité ? |
RS / Delpire était éditeur avant de devenir agence de publicité. Il avait fait des catalogues pour la 2CV, je vous assure quand vous regardiez le catalogue, c'est comme si vous feuilletiez le catalogue Rolls Royce. Aujourd'hui, c'est l'inverse qu'ils font. Je viens de voir pour Rover un truc insensé de bêtises et de laideur ! AW / C'est de la connerie cet anglais qui essuie la carrosserie avec sa cravate. RS / Alors que tout leur charme vient de ce que c'est à part. Mais ils ne comprennent pas. Une des publicités les plus formidables que je connaisse c'est Robert Guérin qui me l'avait racontée. Quand il était jeune, Robert Guérin faisait partie un peu de la jeunesse dorée et il avait une Bugatti. Alors il faisait le fanfaron. Puis un jour avec sa Bugatti, il a été dépassé par une voiture. Il était tellement stupéfait, tellement choqué, et il a vu à l'arrière de la voiture qui venait de le dépasser "ce n'est qu'une Ford". C'est merveilleux ! |
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En avant Citroën ! 1981 |
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MB / Mais pour Citroën comment cela s'est-il passé ? C'était en 80, en plein règne du "marketing"... |
RS / Avec Citroën cela s'est bien passé. Je dois à Séguéla ma renaissance peut-être. Je le connaissais, j'avais fait un petit boulot pour une réunion internationale sur la profession. Il m'a donné rendez-vous. Il avait loué une grande salle à l'hôtel Lutécia, à côté de chez lui, rue Bonaparte pour faire une espèce de centre de travail. Je suis arrivé là et il y avait trente types le "brain-storming" habituel et on m'a fait passer des images. Il y a une chose qui m'a sauté aux yeux et j'ai tout de suite vu quel parti je pouvais en tirer. Tout le monde employait des voitures mais quelles voitures ! Il y en avait des petites, des grosses il y avait un fatras et un fouillis incroyables et tout de suite j'ai vu qu'il fallait un commun dénominateur ; que le commun dénominateur c'était le chevron dont on ne parlait plus. Je me suis aperçu qu'on pouvait arriver à changer complètement la signification du chevron. Par exemple, le chevron, c'est une chose dure et sèche ; pour l'économie, j'ai fait un dromadaire avec une bosse pointue parce qu'en associant il y avait, je ne sais pas moi, une métamorphose qui s'établissait et on est étonné après de voir des dromadaires sans chevrons ou presque... La fiction dépasse la réalité c'est ce que je vous disais tout à l'heure. |
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MB / Et la direction de Citroën a marché ? |
AW / Ils avaient un grave problème d'images et tous ces braves publicitaires autour de la table n'avaient effectivement pas compris qu'à force de vouloir vendre des modèles séparément ils avaient complètement oublié la marque. RS / Moi, j'ai trouvé parce que je suis dans la rue. MB / Le consommateur éventuel... RS / J'ai fait des dessins pour Péres Hermann, il m'avait demandé des dessins pour un chimiste, un jeune type de grand talent, un tchèque. Je me suis plongé là-dedans, j'ai rien compris du tout et j'ai fait des dessins comme ça. Il était content comme tout ce type parce que c'était la vulgarisation de ce qui était pour lui intransmissible. |
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MB / Est-ce que pour vous un concept ne peut passer que par le dessin parce que vous vous exprimez à travers le dessin ? Et la photographie par exemple l'utilisez-vous ? |
RS / Quasiment pas, je ne sais pas me servir d'un appareil. Les japonais m'en ont offert un superbe et ça ne m'intéresse pas. Justement, je vous parlais tout à l'heure de la photographie subjective. Alors ça, ça m'intéressait. Pourquoi pas ? C'est le même cheminement que pour un dessinateur. C'est comme le type qui fait sa cuisine avec la photo, il ne se contente pas de voir les choses comme elles sont. |
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MB / Pour vous, c'est l'idée qui compte en fait ? AW / Qu'est-ce qui différencie les photographes des milliers de types qui ont un appareil, c'est qu'ils disent quelque chose et qu'ils ont quelque chose à dire ? |
MB / La publicité qu'on a dite moderne dans les années 60 plutôt 70 d'ailleurs, c'est finalement l'espèce d'utilisation systématique de la photographie et l'absence du dessin. RS / C'est comme pour la lithographie. Pour une affiche de Cappiello il y avait 100 affiches qui étaient des trucs comment dirais-je "chromolithographiques" mais qui étaient réels comme une photo. Je préfère la transposition au réalisme et je suis content quand même qu'ils aient pris ce dessin, cette gouache pour le guide de Trouville, au lieu d'une photo, comme certains le souhaitaient. AW / Nous parlons du nouveau guide de Trouville qui ne présente pas comme d'habitude de banales photos (casino, plage), mais un dessin de mouettes... Il faut quand même une analogie entre la transposition et la réalité. |
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MB / Ce qui fait la force de vos images c'est un vocabulaire extrêmement simple. On peut résumer une bonne affiche c'est un vocabulaire simple, universel. |
RS / Une idée simple et une seule comme le suggère Marc Carpentier de Télérama. Il parle aussi du surréalisme, il dit que j'use sans arrêt du surréalisme mais au lieu d'aboutir comme dans le surréalisme au vague, j'aboutis à la précision et à la logique. | |||
MB / Quand vous aviez commencé votre travail d'affichiste, vous pensiez que cela pouvait être universel ? Comme disait Alain Weill, quand on parle d'affiche, on dit Savignac. |
RS / En tout cas, j'en avais la conviction. Quand je voyais tous ces gens qui se donnaient tellement de mal, je me disais : "mais pourquoi se donner tant de mal pour arriver à exprimer si peu de choses ?" | |||
MB / En fait, c'est à travers les défauts que l'on a, qu'on construit sa personnalité d'artiste. |
J'ai cultivé la différence très simplement parce que j'étais incapable de faire aussi bien que d'autres. Je me rappelle des choses de Nathan, le soir du vernissage j'étais accablé. Ce que j'avais fait était vraiment ce qui était le plus moche. Mais ce qui me sauvait, c'était les petits gags. C'était une des discussions avec Villemot qui n'y croyait pas. Il était plus décorateur, pictural que moi. Moi, je croyais que je tenais-là une chose exceptionnelle. J'en ai été convaincu quand j'ai pu le faire, parce qu'avant d'y arriver il a fallu louper beaucoup de choses. On parle toujours de mes affiches réussies mais j'ai eu un énorme déchet aussi. |
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Roman d'un Tricheur 1995 |
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MB / Il y en a une, relativement récente, que je trouve superbe, c'est pour le "Roman d'un Tricheur". Elle est d'une évidence, tous les détails inutiles ont été enlevés. |
RS / C'est condensé. J'étais très content quand j'ai trouvé l'idée, je me rends compte de ce qui est bien et de ce qui l'est moins. Une affiche qui est devenue très célèbre, c'est l'affiche pour la "Rive gauche" qui a été tirée sur la petite bécane des bateaux mouches. Bruel avait une petite imprimerie, c'était fait pour mettre chez les commerçants qui d'ailleurs n'en ont pas voulu. Et puis, un jour, dans une manifestation, il y a eu des gens qui la brandissaient. C'est la première fois qu'une manifestation m'ait rendu un quelconque service. C'était formidable et comme cela a été reproduit dans beaucoup de bouquins, c'est devenu très populaire. |
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Non à la voie express 1972 |
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