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Interview de Raymond Savignac ![]() |
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![]() Vous avez commencé à faire des affiches quand exactement ? |
C'était une belle journée du mois de juin 1996.
Raymond Savignac nous accueillait pour un entretien à bâtons rompus... Raymond Savignac / Des projets d'affiches assez tôt, après le régiment. Mais, j'ai vraiment commencé par le dessin animé publicitaire. Je suis rentré tout à fait par hasard chez le père Lortac, un type qui travaillait pour "Publi-Ciné". C'était l'âge héroïque du dessin animé. On dessinait, on découpait les personnages et on les articulait. | |||||
MB / Et cela vous plaisait ? |
RS / Moi, j'articulais les personnages, c'est à peu près tout ce que je faisais. Le dessin animé je n'ai pas aimé. Je me disais, étant donné les scénarios qu'il y avait, pourquoi faire si long ? C'est facile, on peut avoir des idées comme ça, 50 par jour aussi gratuites. Ce qui m'aurait intéressé, c'était au contraire de partir du produit. Il y a quelqu'un qui a tenté ça, c'est Alexeief. C'était direct et en même temps, ça donnait des solutions nouvelles. Quand j'ai eu quinze ans je voulais faire du dessin de journaux, alors je me suis pointé avec un petit carton sous le bras puis quelques dessins à légendes ; j'en ai placé quelques-uns mais pas beaucoup. | |||||
MB / Et vous regardiez les affiches quand vous aviez quinze ans ? |
RS / Elles s'imposaient à moi. Il y avait beaucoup d'affiches de Cappiello quand j'avais quinze ans. Je regardais l'affiche la "bière du lion". Oui, j'étais intéressé à tel point que lorsque j'étais chez Lortac, je me suis dit : "mais ce sont les affichistes qui ont raison". Ils sont directs, ils y vont carrément, en plus de cela, ils ont une invention graphique et le côté art mural aussi est intéressant. Pour un dessinateur c'était ce qu'il y avait de mieux. Le dessin de journal, c'était un dessin noir et blanc presque tout le temps, là on avait la couleur. | |||||
MB / Vous aviez une formation dans la couleur, vous saviez la manipuler ? |
RS / Pas du tout. J'ai commencé à dessiner en reproduisant des caricatures de sportifs de l'époque du journal "l'Auto" qui était ma littérature favorite (faut dire que je voulais être coureur cycliste). C'était l'ancien "l'Équipe". J'ai commencé comme cela. Ça me plaisait. Je me souviens d'un type qui s'appelait Abel Petit qui était un caricaturiste de l'époque. Mais je n'y arrivais pas, j'étais trop paresseux et pas assez savant pour pouvoir dessiner une succession de dessins. Alors, Robert Lortac un excellent homme, pour ne pas me ficher à la porte, m'avait donné à faire les finales des films, parfois c'était un produit qu'on représentait, parfois des affiches. Il y avait des affiches qui étaient déjà connues. J'ai commencé avec des trucs comme ça en recopiant l'affiche de Loupot, de Cassandre, de Carlu. un peu plus clair. Comme par ailleurs j'allais beaucoup au cinéma et que j'adorais les comiques américains, le côté rapide et prompt des gags me plaisait énormément. Au fond, mes initiateurs n'ont pas été des peintres ni des dessinateurs mais des gens de cinéma ; et j'avoue que je trouve cela extraordinaire. J'avais un peu démonté le mécanisme. Ils dessinaient, ils pensaient la chose vraiment d'une façon audio visuelle en appuyant sur le trait au début pour bien montrer, pour bien donner le départ, donner la situation. C'était l'inverse du non-dit pour brusquement trouver le gag qui filait lui, qu'on ne répétait surtout pas. On ne répétait pas deux fois la messe pour le sourd. |
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Alain Weill / C'est bizarre qu'avec ce départ, cette tournure d'esprit de comique et cette formation dans cette préhistoire de films publicitaires vous ayez pu passer chez Cassandre qui était l'inverse de ça ? |
RS / Oui, c'est une des choses que je n'ai jamais comprises. C'était au hasard des boites que je faisais. C'était un jour lugubre, j'avais montré des choses que je faisais qu'on avait regardées une fois de plus d'un index négligent et on m'avait dit : "laissez-moi votre adresse on vous écrira". J'étais tellement déprimé que j'ai voulu en avoir le coeur net, alors je suis allé voir Cassandre. J'étais vraiment désespéré, presque suicidaire. Cassandre, c'était l'Alliance Graphique. Je savais qu'il ne venait que deux jours par semaine. Il travaillait chez lui le reste du temps. Un des deux jours, le mardi, il m'a reçu et quand je suis parti, il m'avait demandé une affiche et un dépliant. Dans la même journée, le désespoir et l'espérance. |
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MB / Quelle affiche vous a-t-il demandé ? |
RS / Je me souviens de l'affiche, qui n'avait pas marché d'ailleurs. Il y avait un slogan pour un marchand de tapis qui s'appelait Vidal : "un tapis Vidal est un capital". |
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MB / Et vous vous souvenez de l'image ? |
RS / C'était pas si mal. J'avais fait un grand tapis qui venait en premier plan avec une perspective, au bout de cette perspective, il y avait un coffre-fort et un type accoudé dessus. |
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MB / Vous étiez avec Cassandre quand vous avez présenté l'affiche ? |
RS / Non, il y avait des vendeurs à l'Alliance Graphique. Georges Petit était par exemple patron d'agence et vendeur. Il vendait surtout les réalisations de Cassandre. |
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MB / Mais alors il devait être fou furieux quand les gens refusaient son travail ? |
RS / C'était comme ça. C'était un vrai métier vous savez, pas un métier de la petite demoiselle, comme quand on va pointer aux assurances sociales. |
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MB / Vous aviez mal commencé quand même avec Cassandre qui vous commande une affiche, l'affiche est refusée. Ça aurait pu s'arrêter là non ? |
RS / Eh bien non. Le dépliant a été réalisé. Il m'a quand même fait confiance. Pourtant il était un peu plus rigoureux que moi. Je ne sais pas pourquoi on est devenu plutôt amis. Un jour il m'a demandé une autre affiche car il avait deux affiches à faire "Roquefort Société" et "Roquefort Maria Grimal" et comme c'est difficile deux affiches avec deux idées différentes il m'a donné à faire l'affiche pour le "Roquefort Maria Grimal". J'ai fait cette affiche mais c'était du mauvais Cassandre, d'un réalisme à pleurer, il n'y avait rien.
Ce qui l'a amusé quand même c'est une chose que je lui avais montrée où il y avait malgré tout des raccourcis. Il avait un très grand sens de l'ellipse. |
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AW / Comme concepteur d'images vous aviez beaucoup en commun. Je parlais par rapport au gag et à l'humour ? |
RS / Il riait beaucoup, il aimait le comique. Regardez la décomposition de Dubonnet. C'est formidable. Cela avait commencé l'année précédente par la décomposition du mot. Il a fait un arrangement graphique que je trouvais très bien phonétiquement. L'année suivante, il a fait ce petit personnage. C'est alors que j'ai commencé à comprendre un peu les choses et que je me suis dit pourquoi y a-t-il trois affiches ? Si on pouvait faire un raccourci aussi saisissant dans une seule affiche ce serait le "truc". Derain avait dit à Cassandre, pour les décors, (parce qu'il a fait des décors après) vous avez trouvé le truc mais pour la peinture vous vous "gourez" complètement. C'est de la critique d'art ! |
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MB / Vous êtes resté combien de temps chez Cassandre ? |
RS / J'ai été longtemps chez Cassandre, quatre ans je crois. Il m'a emmené dans ses valises en Italie où il avait eu un contrat avec un éditeur italien de Milan. |
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AW / Il est parti en 37/38 à New York. RS / Oui, il m'a trouvé un emploi chez Draegger. |
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MB / Quand on lit, ce que vous avez écrit sur votre travail et votre vie, on a l'impression d'une succession de travaux c'est-à-dire que tout à coup vous pouviez vous retrouver au chômage ? |
RS / Je n'ai jamais eu ce qui s'appelle de clients suivis. Jamais. J'ai toujours eu un coup puis cela passait à un autre. J'ai des affiches dont certaines sont célèbres, mais elles ont eu assez peu de tirage, de retentissement... très peu même. |
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MB / Mais les clients venaient parce qu'il y a eu Draegger ? |
RS / J'étais salarié à l'imprimerie Draegger. Là c'était l'horreur. |
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MB / J'ai l'impression que c'était difficile par rapport à ce que vous disiez tout à l'heure : pas d'horaire, être libre de son temps. Combien de temps l'avez-vous supporté ? |
RS / Un an. C'est la guerre qui m'en a sorti. Quand je suis revenu ça n'a pas collé avec Draegger. C'était très bien techniquement. Une maison formidable mais il imprimait des choses sans intérêt ou bien quand il avait des choses intéressantes à imprimer il faisait appel à un type de l'extérieur. | |||
AW / MB / Cela nous amène en 48 à la fameuse expo avec Villemot : c'est une histoire incroyable, deux affichistes qui se rencontrent, s'apprécient, et prennent un local ensemble ? |
RS / Villemot avait un local avec d'autres camarades qui avaient été étudiants chez Paul Colin. Cela a duré trois ans. Ça a été agréable. On ne se gênait pas, Villemot était plutôt décorateur, axé sur le charme, la beauté etc... Moi j'essayais de faire comprendre un peu l'humour. | |||
MB / Il y a quand même eu le hasard prodigieux de la vache "Monsavon" (1949) ? |
RS / Le hasard de la rencontre avec Robert Guérin est essentiel, sans quoi je ne sais pas ce que je serais devenu.
J'avais mis quelques dessins dans un salon de l'imagerie. C'était pendant l'occupation. On croit toujours que rien ne fonctionnait. Mais ça fonctionnait. Un jour j'ai vu arriver Robert Guérin qui est un homme fouineur. Mes dessins lui avaient plu. Il a réussi à me faire entrer chez Eugène Schueller, dans une agence qui s'appelait le Consortium général de publicité qui était une boite à Eugène Schueller et dont il était le directeur artistique. J'ai donc travaillé là, puis pour l'Oréal, jusqu'au jour où je suis parti encore une fois sans rien. |
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MB / C'est une succession d'aventures difficiles ? |
RS / Après je n'ai jamais manqué de boulot. Si, il y a eu la période de l'arrivée du marketing dans les années 70, quand les jeunes directeurs artistiques secouaient drôlement le cocotier et ça c'était difficile. J'ai surnagé et vous savez pourquoi j'ai surnagé, à cause de ma maladresse et à cause de mon incapacité à faire des acrobaties quelconques. Ça a été pour moi une aide formidable ma difficulté à faire des choses. |
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MB / Vous ne les voyiez toujours pas les commanditaires en ce temps-là ? |
RS / J'ai demandé une fois à voir le client et ça a mal tourné. C'était le dada de Villemot, il disait " il faut voir le client ". Ce n'était pas dû à mon caractère parce que j'ai toujours été un type courtois. Mais c'était un combat avec moi-même. C'est bien gentil de faire des dessins qui sont limpides mais ça suppose l'esprit d'analyse qui cède le pas à la synthèse. J'avais le goût de l'ellipse aussi faut dire. |
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MB / Et vous aimiez les histoires drôles ? Quand on vous racontait une histoire drôle ça pouvait faire naître des idées ? |
RS / J'aime toujours les histoires drôles. Quand j'étais libre de mes dimanche j'allais voir les chansonniers, à quinze ans cela m'amusait assez et puis je me suis lassé des chansonniers quand j'ai commencé à aimer le burlesque. Je trouvais cela tellement plus universel. Les chansonniers, c'est la facilité et sans arrêt le même radotage. Pourtant j'allais dans une petite boite qui s'appelait le "coucou" boulevard Saint-Germain et là il y avait des chansonniers formidables. À la fin du spectacle, il y avait l'enfant chéri de la maison qui s'installait au piano et chantait ses petites chansons très différentes. C'était Noël Noël. Le chansonnier est toujours en état de moraliste, il se moque des autres parce que lui est supérieur et là c'était exactement l'inverse. Noël Noël était très drôle et il rejoignait les comiques américains. |
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MB / En fait c'est la différence entre l'humour et l'ironie. L'humour ça nous concerne nous-mêmes. |
RS / Moi, je me suis rendu compte de cela beaucoup plus tard. AW / Il y a une chose que je trouve très intéressante dans ce que vous venez de dire c'est qu'effectivement le burlesque est universel de la même manière que vos affiches sont universelles. Je le sais, je les ai montrées un peu partout dans le monde et c'est vrai que toutes les grandes affiches dans n'importe quel pays les gens en comprennent le message instantanément. |
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MB / Cela a la même vertu que le burlesque. On peut passer un film burlesque dans le monde entier les gens comprennent. C'est cela l'extraordinaire que vous avez réussi. C'est d'arriver à faire de la publicité universelle. |
RS / J'ai constitué un petit espéranto graphique si vous voulez. | |||
MB / Quand vous faisiez les premières affiches et qu'elles apparaissaient dans la rue, vous saviez un peu la réaction des gens. Vous aviez un retour ? |
RS / J'ai commencé à apprendre qu'il y avait des gens qui aimaient ce que je faisais il n'y a pas longtemps. |
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MB / Mais qui vous les commandait alors ? C'était les directeurs artistiques ? |
RS / Oui les agences. Un jour le chef de la publicité d'Aspro est venu me voir et m'a dit : "on voudrait faire une affiche". On s'adressait à moi. On m'avait tout de même reconnu. Je me rappelle que j'avais fait deux affiches différentes et qu'ils ont choisi la bonne. |
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MB / L'autre servait de repoussoir ? |
RS / Des fois, on ne sait pas très bien alors on fait plusieurs choses. Même encore maintenant, je fais plusieurs choses.
Chacune des idées peut faire une affiche parce que j'ai une espèce de mécanisme, non pas que je sache ce qu'il faut faire parce que je ne le sais pas. Jamais je ne sais ce qu'il faut faire, c'est toujours nouveau, mais j'ai le goût de ça. |
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MB / Quand vous travaillez sur une affiche et qu'on vous demande un format particulier est-ce que pour vous il y a une excitation particulière si c'est grand, si c'est le 4 x 3. |
RS / Non pour moi c'est pareil. C'est la même chose une idée doit fonctionner en vignette comme en grand. | |||
MB / Comment ça se passe quand on vous commande une affiche, les idées vous viennent comme ça ? |
RS / Elles ne viennent pas comme cela en réalité. Je me rappelle ce qu'on se disait avec Sempé l'autre jour ; il était venu me voir, on travaillait beaucoup Sempé et moi à cette époque-là et j'avais découpé un petit texte d'un écrivain qui s'appelait Stersivens - ça vous dit quelque chose ? - dans lequel il disait que contrairement à ce que l'on pense ce n'est pas le cerveau qui met la main en mouvement mais c'est à l'inverse la main, par ses gestes inconsidérés, qui vous fait réfléchir et qui vous amène comme ça... AW / "L'homme pense parce qu'il a une main". Moi je me souviens d'une des premières fois où je vous ai vu, je vous ai épié, vous étiez venu travailler à la bibliothèque des arts déco, et je vous ai vu pendant une journée entière dessiner un oiseau... |
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Lancelot du Lac Film de Robert Bresson 1974 |
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