L'exposition
Regard(s) d'un philosophe
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-- -- Commentaires de Daniel Bougnoux sur certaines affiches présentées
dans l'exposition "Don Juan, Macbeth, Carmen... Père Ubu et les autres"
A la Petite Salle - Cargo, le 9 novembre 1996


Le Mois du Graphisme a invité Daniel Bougnoux à poser son regard sur la sélection d'affiches opérée dans le cadre de l'exposition "Don Juan, Macbeth, Carmen... Père Ubu et les autres". Philosophe, professeur à l'Institut de la Communication et des Médias, il témoigne des perceptions, sentiments, analyses suggérés par l'image de ces grands mythes théâtraux.
 
 
Le jeu des 6 affiches

Daniel Bougnoux a bien voulu reprendre une séquence et s'arrêter sur Don Juan, "le grand méchant homme", en choisissant six affiches exposées. En préambule il assure que si "le texte de théâtre est toujours incomplet... en attente de l'incarnation du corps qui va déborder le texte", toute affiche est également" incomplète"... "en attente de notre regard errant, flottant, distrait, infidèle". Pour Daniel Bougnoux, il n'y a donc pas de Vérité dans le commentaire qu'il propose, car "personne ne voit la même chose, quand bien même la même chose est montrée" mais dans l'affiche il y a "rencontre de l'image et du texte" il y a "ce choc de deux registres de signes", et il est intéressant d'amplifier, d'enregistrer ce choc.

 
 
 
Jan Lenica
66 x 96 cm

1976
J. Lenica

Ainsi le "Don Juan" de Jan Lenica, polonais est un Don Juan tout feu, tout flamme, qui exprime la hauteur de son désir et de son châtiment final, l'ardeur du désir et l'enfer. Don Juan est forcément sur fond d'enfer dans l'iconographie traditionnelle. "Cette image ne nous surprend pas, elle s'inscrit dans une tradition bien repérée".
 
 
 
L'érotisme comme mécanisme
 




Marian Nowinski
70 x 100 cm
1987
M. Nowinski

Autres images polonaises, vigoureuses et fortes les Don Juan de Marian Nowinski et de Franciszek Starowieyski.
La première, où le personnage est un coq, représente un Don Juan érotisé en crête de coq et semble assez traditionnelle. Plus surprenante, la seconde est constituée de l'emboîtement de plusieurs éléments. On peut percevoir une influence des surréalistes dans cette représentation, et plus particulièrement l'oeuvre de Hans Bellmer "La poupée". Le corps est articulé de façon non orthodoxe. Le pied gauche est un pied de cheval, un peu diabolique ; le droit est un pied de cavalier, la botte symbolise le militaire, l'aristocrate. Il y a une étrange condensation du torse avec les seins féminins et la tête de mort. "Cette image, où Eros et Thanos sont surimprimés sur le même tronc est assez fortement érotique. La vérité du personnage bien saisie". En haut, la vis suggère la mécanique du désir, Don Juan étant le désir mécanique, l'incarnation de la mécanique érotique. L'érotisme comme mécanique. "Image parlante".





Franciszek Starowieyski
67 x 95 cm
1976
F. Starowieyski





Miecryslaw Gorowski
68 x 97 cm
1988
G. Gorowski

Un autre Polonais Miecryslaw Gorowski, offre un montage avec des images très connues du genre torses "michelangelistes", avec un effet de collage, de rapiéçage très souligné, sur le torse. Autre élément emprunté à Michel-Ange, le serpent de la Sixtine, qui s'enroule ici en haut du torse et dans l'entrejambe. Cela évoque les salles de body building, un Don Juan qui fréquenterait les clubs de gymnastique. "Du donjuanisme comme body building c'est une définition possible du personnage".





Mendell & Oberer
85 x 119 cm
1994
Mendell & Oberer

L'image minimale des Allemands Mendell & Oberer évoquerait plutôt le logo de Coca-Cola, vague de la boisson gazeuse partout consommée. Don Juan apparaissant ici comme l'archétype de la consommation et de la publicité. Don Juan épouse le flot Coca-Cola, pris dans cette déclinaison de la marchandise la plus marchande, la plus fluide, qui dit une vérité du désir, du désir de la consommation. On peut remarquer le pubis en forme de croix, thème très exploité par les surréalistes autour des années 1930.
 




Michel Bouvet
80 x 120 cm
1987
M. Bouvet

Enfin, avec l'interprétation française de Michel Bouvet voilà quelqu'un "qui a manifestement rêvé à Salvador Dali". Cette image reprend les anamorphoses de Dali, avec les visages composés de plusieurs éléments plastiques, où plusieurs constellations de femmes des toiles de Ingres sont présentes, y compris dans l'effet de gaze entre les yeux et la moustache. La moustache est presque la signature du tuteur Dali. La bouche et les yeux en forme de lèvres, de canapé, suggèrent le canapé de Mae West. Quand on a vu l'image de Dali on la retrouve forcément ici. Le canapé évoquant l'entretien érotique, la bouche répétée trois fois, le Bain turc expriment la dilatation du désir donjuanesque qui plane sur un monde de femmes. "C'est un Don Juan oral, parleur, ogre suceur et sensuel qui parle et qui savoure sa proie". Cette image traduit bien cette configuration sensuelle et érotique du personnage.
 
Daniel Bougnoux,
extraits des commentaires rapportés par
"Les Affiches de Grenoble
et du Dauphiné", novembre 1996.
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