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L'affiche de théâtre est un art![]() | ||||
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L'exposition regroupe 75 affiches créées autour des héros aux parcours ancrés dans la mémoire collective, que sont Carmen, (Lulu), Jules César, Faust, Figaro, Hamlet, Don Juan, (Casanova), Roi Lear, Macbeth, OEdipe, Othello, Roméo & Juliette, Tartuffe, Père Ubu et Woyzeck. Ces affiches sélectionnées sur plus de 250 reçues proviennent d'Allemagne, Autriche, Canada, États-Unis, Finlande, France, Grande-Bretagne, Hongrie, Italie, Japon, Pays-Bas, Pologne, République Slovaque, République Tchèque, Russie, Slovénie et Suisse. L'affiche de théâtre se découvre dans la rue, dans n'importe quel espace public, perdue dans une forêt de panneaux, pancartes, enseignes, publicités... Au milieu de la concurrence, elle vient livrer son message : telle pièce sera jouée à tel endroit et à telles dates. C'est sa fonction, informative, au même titre que les panneaux horaires des arrêts de bus, aident à se déplacer. Si les affiches ressemblaient à ces panneaux, les théâtres seraient déserts. L'affiche doit attirer le regard, faire bonne figure en se dégageant du paysage de signes qu'est notre environnement urbain, surprendre, intriguer. La force d'expression et l'émotion dégagées par les affiches de théâtre présentées, procèdent de ce même intérêt esthétique et expressif qui les imposent dans la rue : on les contemple un moment parce qu'il se passe quelque chose en nous, on les trouve belles, mystérieuses... la curiosité est le premier émoi de la connaissance. Il ne s'agit pas seulement d'informer, il faut séduire. On ne peut pas encore parler d'art pour l'affiche, car la séduction caractérise également la publicité : les deux usent de tous les moyens graphiques et vantent un produit consommable en offrant au public l'idée du plaisir qu'il en retirera. C'est à la source de l'entreprise que les différences sont radicales. Les publicitaires vendent des voitures, de la lessive ou tout autre produit fini, les affichistes planchent sur un texte théâtral dont la première qualité est de résister à toute objectivation simpliste. On ne pénètre pas dans le monde shakespearien comme on enfile une paire de baskets. Le publicitaire se doit d'imposer comme unique et attrayant un produit anodin, l'affichiste, lui, essaie de rendre compte des multiples possibles d'un univers original. Le premier matraque " c'est comme ça et pas autrement ", le second invite à s'embarquer dans un voyage dont il est loin de connaître toutes les étapes. Il avance à l'aveugle sur des terrains inconnus de lui. Cette incertitude chronique de l'affichiste et l'incapacité de son travail à totaliser le message qu'il recèle nous permet d'affirmer, (pour peu que le talent et la conviction soient au rendez-vous) que l'affiche est une création. Si elle doit séduire pour attirer son spectateur, qui flânant dans la ville peut être de tout gabarit, l'affiche s'adressant à tous, n'a pas d'autres choix que la clarté. Si l'affichiste peut nourrir son travail de toutes les formes d'expression - peinture, littérature, photographie, cinéma (...) - il ne peut pas non plus en sortir. Pour être compris de tous, il doit absolument produire un système visuel éprouvé, lisible. Il doit être clair au croisement de deux routes : celle de l'esthétique et celle de l'information. Une affiche se lit en gros ou au détail selon le temps que lui accorde l'observateur. Il y a deux niveaux de lecture avec des urgences et des détails de spécialistes. L'affichiste doit tout dire et dans l'ordre. Les contraintes évoquées ne sont pas spécifiques à l'affiche de théâtre qui en connaît d'autres. En l'occurrence le travail de l'affichiste est identique à celui du metteur en scène. Comme lui, il n'a que le texte pour réfléchir et doit en tirer une représentation. C'est une évidence chronologique mais elle a son importance : on commande rarement l'affiche après la réalisation du spectacle. L'un met en page ce que l'autre met en scène. Dans le même temps, sans savoir ce que sera la représentation, l'affichiste lui, doit en rendre compte. Pareillement, ils doivent créer une oeuvre originale. Mais pour l'affichiste le metteur en scène est son commanditaire et dans une bonne entente commerciale, celui qui paie a souvent raison. C'est mercantile mais réaliste, l'affichiste compose toujours avec cette contrainte. Ainsi, sur le fond, l'affiche est une création car elle rend compte d'un univers qui la dépasse et dans la forme, l'affichiste est un auteur puisqu'il synthétise des contraintes hétérogènes en un objet graphique autonome. Art de la rue, art de circonstance, l'affiche de théâtre est un art. Peut-on alors parler d'oeuvres d'art ? Le terme reste impropre tant l'affiche a besoin de son environnement pour donner toute sa mesure. L'accrocher dans un musée réduit sa potentialité expressive. L'art de l'affiche est un art de communication qui se nourrit de l'air du temps. L'affiche est éphémère, elle est à saisir le temps d'une saison. Dans cette optique s'est créée l'exposition Don Juan, Macbeth, Carmen... Père Ubu et les autres. Elle ne réunit pas des oeuvres mais des affiches, qui ne sont pas présentées indépendamment mais groupées autour de figures légendaires du répertoire. Sous l'égide de ces personnages sont proposées plusieurs lectures présentant la même oeuvre théâtrale, à des époques et par des auteurs différents. peut-il apprécier les ressemblances et les différences, ce qui persiste et ce qui sépare dans le jeu des lectures croisées. À l'évidence, ces rencontres impossibles donnent du sens et de l'ampleur à toutes les parties. Invité à une critique comparée, le visiteur enquête, compare, évalue et ce faisant, il lit l'affiche au-delà des informations formelles qu'elle contient. Il la décode. Apprendre à lire, voir, sélectionner et choisir ses informations est aujourd'hui une nécessité vu le matraquage général. Ceci, acquis, nous permet d'apprécier l'affiche au-delà de l'émotion qu'elle engendre en accédant à sa paternité ; en amont, il y a toujours un auteur, son style, son système d'exposition. Certains, quelque soit la pièce représentée, déploient un système graphique immédiatement identifiable. Pour d'autres, la reconnaissance est moins aisée. Pourtant si le trait semble différer, la structure globale est récurrente. Les lectures possibles de cette sélection sont multiples. En les regroupant par pays, on tombe sur des similitudes frappantes ; telles les affiches provenant des pays de l'ex-bloc communiste qui ont une spécificité. L'influence de "l'École polonaise" y est marquante, dès les années 50 elle a donné naissance à un genre nouveau : " l'affiche d'auteur, irréductible et autonome " [Bruno Koper]. Elle a su dépasser le réalisme en affirmant une liberté absolue dans l'expression ainsi que des qualités de synthèses indéniables par l'utilisation de puissantes métaphores. Elle rend expressif les symboles les plus élémentaires, nous offrant des images empreintes de poésie. À l'inverse, on peut aussi voir ce qui rassemble ces visions d'auteur, hors du temps et de l'espace. Les oeuvres de Shakespeare en sont le parfait creuset, tant elles fédèrent tous les talents pour leur propre compte. Rares sont les oeuvres graphiques qui échappent aux standards du genre. Ce qui est vrai en scène l'est aussi pour l'affiche ; on ne résume pas une oeuvre shakespearienne, on ne la totalise pas, elle reste inaliénable à une vision unique ; en conséquence on la sert respectueusement. ![]() |
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