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Dans la matière du souvenir. De l'Onion à l'Elephant Skin, voire le bouffant, le vergé, le vélin et autre kraft, c'est à croire que le papier à en-tête, produit graphique d'exception destiné aux grandes unités de production comme aux petites communautés et à quelques individus choyés, conjugue bien tous les sens et n'en privilégie aucun. Même si le toucher, au premier abord, est l'outil d'évaluation idéal. "J'écrirai mes lettres seulement sur ce papier et pas un autre...". En brassant une telle collection en une seule fois, nous voici affectivement coincés entre, d'une part, I'apparente fragilité d'un feuillet imprimé sur du papier-bible qui doit sûrement exiger moultes précautions, légèreté de plume pour le paraphe final, et, d'autre part, un genre de parchemin veiné de gris, comme un marbre où jouent des trames en noir. Que tout cela est effroyablement beau ! Frappe grossière, rouleau et porte-blanchet, laser et rotatives, rentrez vos griffes, vous pénétrez maintenant au pays de la Lettre française !
![]() Avec eux, les Papeteries françaises, chères à Roland Barthes, seront petit à petit incinérées dans un bel enfer de couleurs et de polices typographiques. Non sans mal ! Les graphistes, ces dernières années ont mis la lettre sans dessus dessous, lui ont fait sa grande toilette, la débarrassant de cette odeur de surannée. Les moeurs évoluent, enfin presque. De par chez nous, le protocole lié à un envoi, enraciné dans la tradition d'un XlXème siècle cock et charbon, continue de s'achever irrémédiablement par un point. L'Anglais, lui, préférera tomber dans le coma : sa réserve est à ce titre, exemplaire ! Pensez qu'outre-Méditerranée, encore aujourd'hui, la plus simple brève s'enorgueillit en son sommet d'une superbe sourate calligraphiée ! ![]() ![]() ![]() |
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Et je retrouve cette exigence primitive, ici, parmi les papiers exposés, jusqu'en leurs extrêmes, allant du style dépouillé, quasi-zen aux sympathiques outrances type plage américaine et radio hurlante : le papier à en-tête vise à être, superbement ou non. Est noeud au mouchoir cette manière de composer en métamorphosant le rectangle vierge en signe lumineux souvent, ésotérique parfois, à vif toujours. Sur le coup, en ouvrant la lettre, on reste comme interloqué, on se pose des questions, pas forcément les bonnes, mais passons, sur cette allégorie-là, qui pirouette dans l'angle droit - tu crois que c'est ça ? Oh, "il" n'oserait pas... - des questions quant à cette symbolique qui cherche à rapprocher lieu, espace et temps sociaux. Cette métonymique, m'est avis qu'elle ne peut se permettre d'être tirée par les cheveux, car chauve la tête qui s'échinera à dénicher l'archisens de la fallacieuse épistole et perdu au final le message sera. En effet, aujourd'hui, en lettre ou pas, quel signe pour mon message ? Dans cette valse hésitation, le nostalgique que je feins d'être hésitera bientôt - ou déjà ? - entre la gamme téléphone, fax, e-Mail (courrier électronique), modem et le classique transit postal muni de son bon gros facteur. Maintenant, le temps appelle l'action : les papiers à en-têtes volent en surface en tous les sens. Parce qu'il y a urgence. Transmettre en temps réel est l'ultime but que se sont fixé les ingénieurs de la chromosphère. La question n'est plus quoi transmettre puisque ce que j'envoie, aussi embryonnaire, aussi ramassé, taille des croupières à la paperasse, à la poubelle, aux classeurs et pour finir, à l'oubli. Voilà pourquoi il faut encore et encore donner une chance aux en-têtes entêtants sachant tâter du temps, donner à présent l'énergie de croire à de meilleurs sentiments ("Pour une communication moins froide" nous disait Mc Luhan) et non à l'empressement sinistre. ![]() De l'Onion à l'Elephant Skin : question de mémoire me diriez-vous. Lorsque je relis mes vieilles lettres, Air mail ou pas, je plane sans effort aucun. Je verse une larme salée sur des amours salaces ou sur des joies monocordes et j'exulte aux tambours du souvenir. Ma mémoire est bien intacte puisque l'émotion la transperce ! En vie donc je suis, le temps a passé, la date en faisant foi, sur les amours, sur les joies et sur les peines aussi et le papier à en-tête reste là, lieu de règles immuables : formatage, adressage, césurage, signature et pliure, j'aurais beau avoir cent ans que, tout comme la Suisse resterait la Suisse, la lettre française serait toujours composée sur du 21 x 29,7. Manquerait plus que ça ! Dans nos stocks de missives, se trouvent enfouis, parvenus de pays lointains - des îles Balibar ! - de l'époque où nos parents nous abandonnaient pour s'oublier dans des clubs cocotiers, ces mots d'escales nonchalantes marqués Hilton ou Intercontinental, écrits sur du papier à cigarette estampillé violine et blason doré, torsadé d'anglaises longifiles. Oserai-je dire que ces procurations, première expérience textuelle à prendre au pied de la lettre, me baignaient d'agréments ? Voiles tendues vers le large de ma chambrette, elles me permirent, si tôt, de partir loin de moi, oui, ces esquisses lettres, ports d'entêtants souvenirs, ces placards offerts par des chaînes hôtelières concupiscentes m'apprirent à connaître le médium favori de l'échange, I'écriture. Au contact de la lettre, y prenant goût, à mon tour, j'ai fini par écrire à l'Autre, en face, pour qu'il me réponde ! Qu'est-ce qu'agréer au bas d'une lettre sinon être agréable, mon enfant... Nous voilà plus nombreux à présent. Nous voilà nous. Ohé du graphiste ! Equipez nos papiers à lettre de gréements magnifiques, transformez l'identitaire en identité vraie, I'entreprise en colonie de vacances (deux ans au moins...), créez de rarissimes en-têtes que la photocopieuse multipliera pour contrecarrer la malédiction de la bouteille à la mer, enluminez pour briser ces conventionnelles amarres, souquez ferme vers le neuf et par-dessus tout : faites n'oublier jamais. Philippe Di Folco, éditeur. |
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