Le Mois du Graphisme
 
 

L' EXPOSITION

Thierry Sarfis
L’exposition « Montluçon 1985-1998 : graphisme et pouvoir » que vous venez de voir est particulière. L’objectif n’était pas de montrer une nouvelle fois les travaux de certains graphistes, mais de se servir de l’expérience qui a été réalisée à Montluçon, grâce à certains concours de circonstances, une volonté politique, des choix dans le domaine de la communication visuelle, et le travail d’un certain nombre de graphistes. Cette exposition a pour but de donner à réfléchir sur la façon dont, aujourd’hui, les institutions et collectivités territoriales communiquent et comment les professionnels de la communication visuelle travaillent avec elles. Cette exposition ouvre le débat, comme celui qui va suivre. J’espère que cela va nous permettre de déblayer un peu le terrain, de ce dont tout le monde parle : des problèmes, des crises, des difficultés dans le travail, etc…
 
 
 
Philippe Quinton
Bonjour à tous, merci d’être venus si nombreux. La réunion d’aujourd’hui est tenue à l’occasion de cette édition du "mois du Graphisme" et vous propose de discuter des communications visuelles qui sont développées principalement par les collectivités locales, et plus précisément des rapports entre graphistes et pouvoirs que l’on peut également mettre au pluriel. Dans la production de communication graphique, vous savez tous que nous avons à faire à trois acteurs principaux : l’élu, le directeur de la communication et le graphiste. Le propos du débat d’aujourd’hui est de les réunir pour faire entendre chaque voix et comprendre les différentes logiques professionnelles des uns et des autres et ce qui les animent. Nous avons donc à la tribune une élue municipale, Chantal Cornier, chargée de la culture à la mairie d’Échirolles ; deux directeurs de communication Bruno Cohen-Bacrie à la ville d’Échirolles, et Patrick Maurières qui est anciennement le directeur de communication de la ville de Montluçon et actuellement du Conseil général de la Seine-Saint-Denis ; un écrivain Jean-Louis Sagot-Duvauroux qui a publié récemment un livre fort intéressant qui s’intitule « On ne naît pas noir, on le devient » publié chez Albin Michel ; et Arnaud Corbin, graphiste et ancien président du Syndicat national des graphistes.
Chaque acteur agit selon ses enjeux, ses logiques, ses motivations, ses contraintes, ses ambitions, produit des discours et réserve son pré carré de compétences et de pouvoirs. Il en résulte des dispositifs visuels forts variés. Certains sont jugés exemplaires tant sur leur résultat graphique que sur les démarches qui les ont générés. C’est le cas de la ville de Montluçon. D’autres, au contraire, sont considérés comme très contestables. Mais tous soulèvent la question essentielle de la commande que l’on sait désormais réduite à une question d’achat public de service par un code des marchés publics qui complique la vie de tout le monde aujourd’hui.
Nous avons souhaité un débat positif et constructif qui puisse nous aider et vous aider à repérer des cadres d’action possible pour ceux qui se sentent concernés par ces questions, mais aussi démunis, découragés devant l’immensité des problèmes qui sont liés à la pratique du design-graphique aujourd’hui dans le cadre d’une commande publique, en particulier, où ce qu’il en reste. Alors, voici des règles simples que nous vous proposons pour ce débat que nous souhaitons intéressant et productif. Pendant cinq minutes nos interlocuteurs vont essayer de résumer les trois ou quatre points qui, leur paraissent intéressants sur ces questions. Ensuite, vous serez invités à réagir pendant 15 à 20 minutes sur ces prises de positions. Simultanément, Olivier Cabon que je remercie, va taper les textes résumés qui vont apparaître à l’écran. À cet effet, on vous demande d’être assez concis et d’éviter les constats de principe et les petites lamentations habituelles pour essayer d’avancer dans des propositions concrètes. Cela permettra à tout le monde de mieux comprendre les choses. Ensuite, nous pourrons à nouveau réagir sur vos interventions et ouvrir un vrai débat. Je vais tout de suite laisser la parole à la seule dame de la tribune qui à l’honneur d’être une élue municipale de la ville d’Échirolles.
 
Chantal Cornier
Élu, graphisme, pouvoir, la question est assez compliquée parce que ce n’est pas forcément une question à laquelle on réfléchit tous les jours. C’est peut-être plus simple quand on est dans une ville comme Échirolles, où effectivement il y a ce travail autour du graphisme depuis quinze ans, qui oblige à la réflexion. Et puis, je vais faire attention car il y a le directeur de la communication de la ville à mes côtés, et l’on sait que la question des relations entre la culture, la communication et le graphisme n’est pas toujours simple. Avant d’être élu, on est d’abord citoyen, et être graphiste c’est un métier, comme être architecte par exemple. On arrive à une autre question. Architecte c’est un métier, mais on n’a pas forcément besoin d’un architecte pour construire sa maison. La législation française fait qu’aujourd’hui vous pouvez construire votre maison sans faire appel à un architecte. Un nouvel élu doit réfléchir à cela et commencer par apprendre, non pas des aspects techniques du métier de graphiste mais en se posant des questions sur ce qu’est cette fonction de communication dans une ville.
C’est vrai. Je pense que je porte un projet qui est intéressant pour les citoyens de la commune dans laquelle j’agis, et j’aimerais bien pouvoir continuer, ce qui est légitime. Mais, ces citoyens ne vont pas (re)-voter pour moi parce qu’à un moment donné d’une campagne électorale, il y aura des affiches sur des panneaux, d’ailleurs absolument atroces. Ils vont voter sur l’action que j’ai menée et sur ce que j’ai pu leur en dire. Ce n’est pas si simple. Si je prends le champ de la culture, je peux leur dire qu’à Échirolles il y a le "mois du Graphisme" d’accord ; mais une fois que j’ai dit cela je n’ai rien dit. On va me dire « d’accord , mais ça sert à quoi ? » Est-ce que cela touche des échirollois ? Et là, tout de suite je vais tomber dans des choses plus complexes. Il y a le week-end inaugural auquel on participe et, pendant un mois, il va y avoir tout un travail fondamental – je prends cet exemple car il me tient à cœur – qui va être fait avec des écoles, avec des habitants, avec des étudiants. Or ce travail ne se voit pas, alors que j’ai envie d’en dire quelque chose aux citoyens car il me semble au cœur de mon action. La première question autour de la communication est celle-là : qu’est-ce que je vais dire aux citoyens de quelque chose qui n’est pas forcément visible qui ne fait pas forcément événement ? Je dois apprendre en tant qu’élue, si en tout cas je suis sur un projet politique qui vise à la démocratie et à la liberté, à prendre des risques. Ai-je envie de porter un projet politique qui est le projet que porte l’économie libérale aujourd’hui ?
Juste un petit mot sur la question des pouvoirs. Elle est complexe car on investit souvent l’élu de pouvoirs qu’il na pas. Certes, l’élu a du pouvoir, mais tout le monde a du pouvoir. Les directeurs de communication ont beaucoup de pouvoir, car les élus sont rarement en liens avec les graphistes. Et les graphistes ont aussi le pouvoir de savoir plaider leur projet auprès des élus, et d’en montrer l’intérêt dans le contexte politique dans lequel le projet s’inscrit.
 
 
Patrick Maurières
Deux remarques : Pourquoi le graphisme aujourd’hui en France est-il si peu présent dans les agences de communication ? ma deuxième remarque est plutôt optimiste à l’image des expositions que j’ai pu découvrir à Échirolles, celle sur le graphisme en Angleterre. C’est passionnant, extrêmement vivifiant. Et puis les deux expositions qu’on a pu voir tout à l’heure aussi sur les graphistes russes et mexicains confirment que le graphisme est vivant. Par rapport à mon expérience professionnelle, je voudrais vous indiquer deux paradoxes et vous proposer des petites étapes historiques. J’étais directeur de la communication dans une ville – Montluçon – de 1985 à 1995, dont le Maire communiste était Pierre Goldberg. Nous avons pu sous son impulsion, travailler le graphisme d’utilité publique avec un ensemble de créateurs, j’y reviendrais dans le débat…
Intégralité du débat à imprimer (fichier PDF, 350 ko)