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Alain Le Quernec
"Un petit bout du monde"


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illustration
Souvenir de l'Amoco-Cadiz 
-- Je n'aime pas le dessin de presse, non que je le méprise, je dirais plutôt qu'il ne me convient pas. Chez les "maîtres", certains ont tout mon mépris, d'autres mon respect, mais je n'aime pas le genre, je ne m'y reconnais pas.
Je n'aime pas ce bavardage mêlant images stéréotypées et phrases sibyllines, et pourtant c'est la règle du jeu. Les commentateurs politiques y font référence à la radio le matin, il est censé être un raccourci de l'actualité le seul fait que la description de l'image puisse être aussi efficace que l'image elle même, montre à quel point le graphisme devient secondaire.
Je crois au pouvoir de l'image avant tout, je me complais à croire que les images réactionnaires sont minables, mais ce n'est pas une vérité. Je hais les dessins de Gavarni pendant l'affaire Dreyfus, le talent de ce salop antisémite a certainement fait beaucoup pour influencer l'opinion.
Je ne suis pas à une contradiction près, je n'aime pas le genre du dessin de presse et pourtant j'y participe, et je dois même tomber dans les travers que je fustige...
Faire des dessins pour "Le Monde" m'honore à divers titres, d'abord par le respect que j'ai pour la ligne de ce journal, et aussi, plus prosaïquement et plus égoïstement, parce qu'il ne m'est pas indifférent de me voir demander des images au fin fond de ma Bretagne, au bout du monde.
Pour moi c'est un honneur, même si un dessin de presse est un produit éphémère sans grande considération. Je suis affichiste, ce genre partage avec le dessin de presse la notion de l'actualité, donc de l'éphémère. Cette frustration est une donnée qu'il faut accepter, les images n'existent que dans le contexte de l'actualité et, très vite, elles perdent leur intérêt, aussi leur seul dérisoire espoir de survie est-il dans le graphisme, dans la force de l'image qui s'impose, même si le sens a disparu. C'est bien sûr une utopie, mais il ne m'est pas interdit d'y croire.
Mes affiches politiques ou sociales publiées à Quimper ont un champ d'action très limité, mais force est de constater que quand ces images faisaient l'actualité pour une raison ou pour une autre, (et de ce fait étaient reproduites dans la presse nationale), elles étaient mises sous les yeux de mille fois plus de monde. La presse à grand tirage est un support bien plus efficace que l'affiche, d'autant que la tradition de l'affiche politique a disparu ou presque...
C'est pourquoi je m'accroche à cette illusion du dessin de presse. Rien ne peut quantifier son dérisoire impact, et pourtant il participe d'un mouvement, d'une tendance. Il faut y croire, je veux y croire, aveuglément, sinon autant disparaître. Le dessin de presse est un genre plus que mineur, et ceux qui s'y font connaître, qu'ils le veuillent ou non, appartiendront toujours à une catégorie subalterne. Cela n'a finalement aucune importance, l'important c'est de croire, d'avancer dans le vide, de ne jamais accorder crédit ni aux louanges du petit monde auquel ils appartiennent, ni au mépris des autres catégories. Merci au "Monde" d'y croire, merci de m'y faire participer.
 
Alain Le Quernec

 
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PUBLICATION — Un petit bout du monde
-- Affiches et dessins de presse exposés aux Moulins de Villancourt
du 9 au 27 mai 2000

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¬ Dessins commentés
¬ Alain Le Quernec
(1991)