Il a la soixantaine. Une apparence tranquille, mais toujours d'attaque. Modeste et disponible dans ses rapports, il affiche un parcours imposant dans le milieu du graphisme européen. Au risque de commettre le péché d'orgueil, il vilipende avec rage, et force arguments, l'ordinateur. Pour bien le connaître, et avoir usé des virages (des mirages) de la palette graphique, il connaît la mesure donc toutes les limites de l'outil informatique. Cet outil "qui vous assoit sur votre cul comme une grosse larve, jusqu'à ce que le clignotement des électrons vous hypnotise et vous fasse bien travailler pour Monsieur IBM ou Macintosh. C'est toujours du bluff pour du neuf, sans constitution de durée, ni de construction de quoi que ce soit. Je ne réfute pas à priori l'ordinateur, mais il y a ce côté emballage, bien propret et clean, qui fait qu'un type qui ne sait pas dessiner a l'air de savoir dessiner. Et puis, c'est quoi finalement ce direct s'il n'est pas nourri par la gestion de différés, des nuances dans nos façons d'agir, si l'on n'est plus capable de réflexion, de retour sur soi, de confronter l'état de ses connaissances, de ses jugements, sans dépendre forcément de la rentabilité dans l'instant, ou de la commande pour alimenter la commande ?".
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Michel Quarez
Peinture dans la rue - Sérigraphie pour la Ville de Fontenay-sous-Bois
Sérigraphie
1996 |
Il prétend, pour reprendre la célèbre formule de Picasso, que son travail représente "99 % de transpiration et 1 % d'inspiration". De même est-il très prudent sur la nature que l'on prête à ses engagements d'homme et d'auteur, sur la force de transformation de ses images. Certes, il a des opinions. Et, dans son terreau, trouve l'opportunité de les exprimer. "Mais si Coca-Cola me demande une affiche, ça me paiera deux années de peinture et j'en serai ravi." Il se dit peintre de plus en plus, pas par prétention, mais parce que le statut "professionnel" de graphiste ne l'intéresse pas du tout.
Que Michel Quarez adore déranger, c'est peu dire. Avec un zeste évident de provocation. "Je prends le temps d'être dialectique et d'exacerber les contradictions, cela ne me passionne pas de vivre sans contradictions." Avec, surtout, une densité qui ne laisse jamais indifférent. La densité chromatique de ces affiches, et la lumière qu'elles réfléchissent. Une vivacité fluorescente qui ne correspondrait pas, affirme-t-il, à une esthétique, à des
recherches personnelles, mais peut-être à la pauvreté en cônes de sa rétine, donc à un besoin de ses yeux de stimuli forts pour réagir. "La physiologie des artistes a été rarement faite." S'il lui est visiblement difficile de parler de ses motivations qui confineraient, à l'évidence, à se justifier , Michel Quarez apporte toujours des parts de vérité. "La lumière et la vivacité de l'ordinateur m'ont conduit au Fluo. La sélection classique, soft, de la gamme européenne (cyan, magenta, jaune, etc.) ne me donnait pas les mêmes résultats. L'impression offset est une image fantôme... La vraie image reste sur le blanchet. Elle n'est jamais imprimée."
La première vérité de Michel Quarez est la peinture, qu'il ne dissocie aucunement de ses affiches en sérigraphie, voire du graphisme. Et inversement. Et cela se voit, se sent. "Un bris de lunettes cassées peut être aussi troublant que La Joconde. Les grands inventeurs de systèmes typographiques, comme Baskerville ou Bodoni, ont inventé un univers de formes au même titre qu'un Mondrian".
La peinture est un acte de plaisir. Avec sa fragilité, ses mouvements, ses combats intérieurs et ses douleurs. Michel Quarez, qui dit s'intéresser de plus en plus à l'icône, est convaincu de la fragilité de l'existence, de tout en nous. |

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Tout démontre qu'insaisissable, il est soucieux des autres, du temps qui passe, sans pour autant se déclarer un "affichiste politique". "L'être social que je suis est par-devers moi". Ses engagements sont du domaine de la sensation, des aspirations, des affects, de l'émotion. "La couleur est peut-être la partie la plus instinctive de mon travail". Un appel à la vie qui vaut tous les discours. Et bien des médias. "Tous ceux qui ont essayé de disséquer la peinture en constituants logiques se sont cassés les dents !" Est-ce que la peinture est un langage ? A-t-on réussi à faire parler la couleur, à la rationaliser ? Sa chance est d'être encore un peu un champs de liberté. "Je n'oblige personne à devenir communiste quand je regarde du rouge. Ça serait plutôt le contraire..." Avec Michel Quarez, on a encore l'envie de croire que les alphabets sont à inventer tous les jours. |
Jean-François Lorenzin
journaliste
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