L'exposition
-- -- Comprendre le multimédia
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On prête un certain nombre de vertus à la communication électronique, une régénération de la société, des rapports de création et des liens sociaux, etc. On utilise beaucoup de métaphores pour décrire ce qui se passe sur le Net. Mais pour quels contenus ? "Je ne vois pas l'intérêt de donner du plaisir à cliquer, sans qu'il y ait une intelligence des produits multimédia", déclare Philippe Quinton, enseignant à l'IUT 2 de Grenoble, animateur de deux conférences dans le cadre du Forum des interacteurs. La manifestation souhaite apporter des pistes de réflexion, "proposer des balises", d'autres regards. Pour comprendre ce qui se passe et se transforme, tant du point de vue des professionnels que de n'importe quel usager. Explorer des voies manifestement différentes, de nouvelles formes graphiques et plastiques, juridiques et éthiques, c'est aussi proposer des alternatives au discours marchand.

J-F. Lorenzin /
Comment appréhender les nouvelles technologies de l'information et des télécommunications ?
 

Philippe Quinton /
Le Forum les remettra à une juste place, sans effacer le reste. Les tuyaux ne sont pas un sujet en soi. On ne va pas débattre du dernier utilitaire sur le marché ! Ce sont des supports très intéressants, aux potentiels énormes, à connaître et à maîtriser — on ne travaille pas l'image numérique au pied levé, cela s'apprend. Ces moyens ont des incidences économiques, sociales, culturelles, juridiques. Mais je les envisage à un même niveau qu'un graffiti, une affiche ou une banderole, une plaquette ou un écran Minitel. C'est la façon de se les approprier, de les exploiter, ce qui nous permet de dire et de montrer, ce que cela transforme et nous suggère, qui doit nous motiver.
L'idée est d'aborder les contenus et les conséquences de l'interactivité qui apporte une façon totalement nouvelle de parler, de gérer le temps et la durée, l'espace et la troisième dimension, de naviguer dans des savoirs et de rentrer dans les messages...
 
J-F.L. / L'approche écran n'est pas l'approche papier. La manière de raconter est radicalement différente aujourd'hui. Est-ce un nouvel état d'esprit ?
 
P.Q. / Lorsque je manipule la souris de mon ordinateur, que je clique, des éléments se mettent soudain à bouger, apparaissent ou disparaissent. Que j'appuie, ou que j'effleure, l'image ou le texte réagissent. Il y a quelque chose d'autre dedans, des liens avec d'autres images ou d'autres sites. Un cheminement s'opère, aléatoire, certes calculé et programmé, selon une arborescence précise. C'est cela qui est nouveau. Les jeunes comprennent plus vite ce que l'on peut faire avec cette surface sensible. Les nouvelles technologies et le multimédia doivent être perçus au-delà de notre culture livresque. Il y a une transformation de l'imaginaire, une adaptation nécessaire des procédures de conception et de création habituelles, celles de l'image traditionnelle, fixe en deux ou trois dimensions, animée ou pas.
J-F.L. / L'hypertexte n'a pas été inventé par le multimédia...
 
P.Q. / C'est exact, sauf que le livre suscite des connexions mentales, et que l'Internet et le cédérom, par exemple, créent des liens physiques. Les fonctions et les manières de faire, les matières techniques, conceptuelles et plastiques sont extrêmement diverses. Les 16-25 ans rentrent physiquement dans l'image en composant leurs histoires à partir d'unités distinctes. Le terme "surfer" leur correspond parfaitement. Cette manière de rentrer dans le savoir est le fait d'une génération. On observe un détachement réel des logiques traditionnelles, une remise en question de toutes nos pratiques. Cela devrait produire d'autres rapports à l'image, d'autres constructions du sens, peut-être du même ordre que celui qui a existé lorsque le livre s'est répandu en Europe. Mais le papier reprendra ses marques par rapport à l'écran, comme la peinture s'est recalée par rapport à la photographie au XIXè siècle. Cela ne peut qu'encourager les graphistes, plasticiens, concepteurs et directeurs artistiques, vidéastes... à exploiter cet immense champ d'expression.
 
Jean-François Lorenzin,
rédacteur en chef de Cité Echirolles.