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Résister par l'image Introduction de Daniel Bougnoux ![]() |
.../... Sans plus tarder, le programme étant copieux, moi qui enseigne les théories de la communication à l'Université de Grenoble III, l'on ma donc chargé d'ouvrir brièvement par quelques réflexions théoriques, mais je ne veux pas que ces réflexions prennent le pas sur d'autres considérations de curiosité qui sont les vôtres. Nous allons quand même commencer par les "théoriciens" et ensuite parler devant les images et laisser la parole aux graphistes. Qu'est-ce qu'un professeur de communication peut dire brièvement sur ce "Résister par l'image" ? C'est la question que Diego Zaccaria m'a posée. J'ai donc jeté sur le papier quelques petites notes et le premier réflexe face à ce titre c'est de se dire que ce titre est inverse à un mot d'ordre, qui dans les années 60 était : "comment résister à l'image" quand on déplorait les empiètements d'une vidéosphère envahissante face à la bonne vieille graphosphère c'est-à-dire les écrits, la mémoire des livres, etc... et Dieu sait si cette littérature s'inquiétant des progrès de la montée des images et donc de la perte d'influence de l'écrit nous a occupée il y a encore quelques années ; et curieusement aujourd'hui évidemment, elle est obsolète. Pourquoi ? Et bien parce que nous avons compris, nous le savions déjà à vrai dire, que l'image est un inappréciable outil, pas seulement de connaissance, pas seulement de mémoire, pas seulement d'information, mais que c'est un formidable vecteur émotionnel et culturel ; et que l'on peut dire du mal de l'image, mais il y a pire que l'image, c'est l'absence d'image. Dans certaines guerres, le mot d'ordre est : surtout pas d'images ; c'est ce que Madame Thatcher avait demandé pour la guerre des Malouines par exemple qui a été comme cela rigoureusement invisible ; alors on peut penser ce que l'on veut des conflits télévisés, médiatisés, mais il y a pire que cette médiatisation. Donc l'image peut témoigner nous le savons et comme elle peut témoigner, elle peut bien sûr être un facteur de résistance, première réflexion. Deuxième réflexion, nous sommes pris dans un torrent d'images indifférentes. Trop d'image tue l'image bien sûr. Trop d'information tue l'information. Il y a cette inflation du visuel c'est ce que l'on appelle la culture de masse. Un des thèmes ce soir peut être formalisé de la manière suivante à quelle condition peut-on provoquer comme l'on dit "l'arrêt sur image". C'est-à-dire une image qui vous arrête. Une image quitte le flot et donc ce serait cela la résistance, de tomber en arrêt devant certaines images. Evidemment, tous les mots sont galvaudés, le mot "image" presque galvaudé. On peut distinguer peut-être le visuel de l'image ; le visuel c'est vulgaire, c'est banal ; l'image ça reste noble. Ces distinctions sont fragiles. Le terme de résistance est affreusement galvaudé. B.H. Lévy maintenant fait de la résistance. Il se prend pour Malraux. On voit toutes ces dérives, tout ce flot évidemment. Néanmoins la photographie, et curieusement il y a très peu de photographies dans les images qui nous sont montrées à l'extérieur de cette salle, la photographie peut-être, résiste par définition parce que la photographie est un morceau de réel. Je pense que la question du réel ce soir, va traverser, va travailler notre débat et j'espère que la question de la confrontation entre photo et graphisme bien sûr surgira, c'était mon deuxième point. Troisième point, je dirais qu'il y a un mystère de la réception des messages en général et surtout de la réception des images en particulier. Le mystère de la réception icônique c'est Barthes qui en a parlé quand il a dit que dans un message publicitaire il fallait toujours que le texte "encre" comme une ancre, accroche le sens de l'image. Sinon par elle-même, l'image est errante. Elle est in-fance, elle ne parle pas, elle est dans l'enfance et dans cette mesure elle est infirme et en général il faut du texte pour accrocher et fixer et dire le sens des images. Nous avons donc à faire à des messages mixtes, des images qui nous arrivent avec des textes et les textes nous arrivent illustrés de visuels, de documents et d'images. Mais au fond si l'on pense à notre culture c'est largement le cinéma, la télévision, les photos, les images, les affiches, les magazines. Cela produit un message qui n'est ni une parole, ni une réflexion, ni une pure duplication du réel, ni une bouffée affective, mais un mélange de tout cela. Un mélange complexe de tout cela et on ne sait pas très bien comment agissent les images sur nous. Cela est complexe c'est-à-dire que personne ne peut vraiment dominer le sens par exemple d'une commande graphique, la façon dont les gens vont s'en emparer, vont le détourner, l'interpréter, le faire fonctionner autrement. Par définition la réception est aléatoire et ceci est très utile comme thème pour nos études de communication. Devant les images, au fond notre regard flotte enfin du moins il y a une ligne de flottaison du regard, il y a une partie visible et une partie qui est dans la tête de chacun qui est la marge, qui est le contexte, l'éco-système de la réception par chacun de telle image et qu'il faut bien sûr sauver cette marge. Les mauvaises images sont des images sans marge, des images hors-champ. Les bonnes images sont celles qui ont cette profonde ligne de flottaison comme un bateau dont on voit toujours la partie émergée et une partie bien sûr immergée que l'on ne voit pas et qui est la réserve et le support du visible. Il y a ce mystère dans tout le regard porté sur l'image dans toute cette réception d'images, cet aléatoire, cette imprévisibilité de la vision. Terminons sur le message même proposé à nos rencontres et à nos images ce soir, c'est-à-dire Sarajevo - capitale culturelle de l'Europe - ça c'est le titre "ancreur". Ce qui doit fixer les images que l'on a, à l'extérieur de cette salle. Sur Sarajevo on a vu tellement d'images, les plus atroces. Celles du marché bombardé ont déclenché une action diplomatique qui a peut-être desséré l'étau du siège de Sarajevo et donc nous savons que la guerre et la paix se font à coup d'images. Alors il faut choisir, il faut peut-être augmenter la mise dans ce domaine et on a assisté à une terrible escalade... alors, |
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