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La contestation, la révolte, les luttes sociales ont de tous temps existé. En butte à la censure, ne pouvant utiliser les médias dominants ou toute autre forme de communication sur lesquels l'état avait son contrôle, dépourvus la plupart du temps de moyens financiers importants, ces mouvements ont dû trouver leurs propres moyens de diffusion pour faire entendre leur voix et c'est bien de voix qu'il s'agit ici car cette exposition est consacrée à la chanson engagée, mise en parallèle avec l'affiche. La chanson et l'imprimé ont de tous temps été les véhicules privilégiés de toutes les oppositions et de toutes les luttes bien que, logiquement l'une ait précédé l'autre dans l'histoire. En des temps reculés où l'imprimerie était coûteuse et fort surveillée mais surtout où la majorité du peuple ne savait pas lire, le verbe l'emportait de loin sur l'écrit pour répandre satires ou pamphlets revendicateurs. L'histoire en est longue, depuis les guerres de religion, les mazarinades (plus de 6000 ont été répertoriées sous la Fronde*) dont la violence pouvait être incroyable (mais je voudrais bien étrangler notre putain de reine...) aux chansonniers révolutionnaires qu'ils militassent en faveur de la révolution ( ça ira, la Marseillaise) ou contre (comme le royaliste Ange Pitou). Il existe bien des pamphlets, des canards imprimés qui circulaient sous le manteau mais ils étaient essentiellement typographiques et donc fort éloignés de ce qu'est aujourd'hui pour nous l'affiche. Il y eut aussi des papiers peints révolutionnaires mais, pour une fois, ils étaient du côté du manche ! Sous la Restauration, ce sont les goguettes qui jouent à cache-cache avec la police et la censure même l'illustre Béranger devra tâter de la paille des cachots. C'est cependant là qu'est née la chanson sociale que le Second Empire étouffera sauvagement avant qu'elle ne connaisse son âge d'or sous la Troisième République. Jean Baptiste Clément et son temps des cerises mis en musique en 1868, I'internationale de Pottier et Degeyter (1888) et surtout Montehus avec gloire au XVIIe pendant les manifestations dans le vignoble de Béziers et la "Victoire sociale" de 1908 qui provoque la grève générale un ton qu'on retrouve à Montmartre chez Bruant mais aussi chez des affichistes comme Steinlen, Metivet et surtout Grandjouan qui sort les premières grandes affiches en couleur, notament pour soutenir les grèves des cheminots. Si la chanson de Craonne de Paul Vaillant-Couturier dénonce les massacres de la guerre de tranchée, la paix revenue, ce tourbillon et cette richesse polémique et créative se tarissent avec la dispersion des cafés concerts et cafés chantants tout comme l'affiche politique elle même s'appauvrit. Il faudra une autre guerre et la Résistance pour voir un vrai renouveau, puis Saint-Germain des Près, "le déserteur" de Boris Vian et "mon général" de Léo Ferré qui relance la chanson sociale alors que Siné relance le graphisme mordant. Les affiches et chansons proposées ici appartiennent à la période qui suit et qui couvre ces dernières décennies. Cette exposition est un jeu qui se fonde sur une réalité : I'affiche comme la chanson engagée, en prise directe sur l'actualité, traitent des mêmes sujets, des mêmes causes, des mêmes luttes d'où le jeu proposé de mettre en vis à vis des imprimés face à des paroles de chanson, exercice pratiqué au premier mais aussi souvent au deuxième degré, voire au-delà... Le résultat est un florilège des problèmes qu'a connus notre société depuis la guerre, des graphistes auteurs compositeurs ou interprètes qui les ont traités. La sélection ratisse large et permet à Willem ou Siné de cohabiter avec Savignac ; des affiches d'agence avec celles de graphistes anonymes et, côté chanson, des artistes aussi variés que Scotto, Bécaud, Brel, Renaud ou Pierre Perret. Cette mosaïque d'expression enfin recoupe à peu près toutes les tendances de l'échiquier politique ; de la droite à la gauche les plus extrêmes une belle moisson donc qui amène cependant certaines réflexions et je parle là strictement des affiches. Si leur aspect documentaire est indiscutable, on peut par contre s'interroger sur la pauvreté de leur qualité graphique. La pauvreté des moyens n'est pas une excuse (ce qui n'est d'ailleurs pas toujours le cas) même si elle est réelle mai 68 l'a prouvé. Les Grapus avaient pourtant montré en leur temps qu'en France l'affiche engagée pouvait être de qualité ils semblent avoir prêché dans le désert francais. Agences de pub ou individus ne brillent pas par la qualité de leur production et, là encore, Savignac donne à tous une lecon... Cette exposition pourrait faire réaliser à tous commanditaires ou graphistes la pauvreté générale de leur production. Pourquoi priver une cause qu'on croit juste d'une bonne image. C'est la question que je pose à tous en suggérant, avec Charles Trenet : "et surtout n'fais pas fi, pas fi d'ma philosophie".
Alain Weill, délégué général
du Festival de l'affiche de Chaumont
(*) voir Guy Frismann - Histoire de la chanson - Pierre Waleffe - 1967 |
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